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Nous remercions le Dr Amalric qui aimait raconter les problèmes oculaires des hommes célèbres, et nous avait permis d'accéder aux documents présentés ici.
L'oeil de Gambetta dans son flacon
C'est à l'âge de huit ans, que se trouvant dans la boutique d'un coutelier, voisine de la maison de son père, se produisit l'accident oculaire de Léon Gambetta.
L'enfant, accoudé sur l'établi, regardait l'ouvrier en train de percer des trous dans le manche d'un couteau, avec un clou. Pour provoquer la pénétration plus rapide de ce clou, le coutelier lui imprimait une rotation rapide grâce à un fleuret tendu sur une corde. Le fleuret cassa et frappa le jeune curieux à l'oeil droit.
Il y eut perforation de la cornée qui cicatrisa très rapidement, si bien que l'on put croire à une guérison définitive. L'enfant fut amené en consultation à Toulouse et à Montpellier mais la cécité se produisit avec une inflammation chronique uvéale. Il se déclara, suivant les termes du Docteur de Wecker qui le vit plus tard, une irido choroïdite glaucomateuse à évolution lente.
Ce fut en raison de cet accident que les parents de Gambetta décidèrent pour lui d'une carrière ecclésiastique. Il entra au séminaire de Montauban après avoir eu l'oeil crevé, contrairement à ce que pensèrent plus tard certains apologistes politiques qui écrivirent que l'enfant se serait crevé l'oeil lui-même, volontairement, afin de quitter l'enseignement religieux, ce qui donnait à l'origine de sa carrière politique une apparence de résolution spartiate.
Le mal continua à progresser. Les douleurs apparurent en même temps que le globe augmenta de volume et, pour éviter une menace d'ophtalmie sympathique qui se faisait jour, une consultation provoquée par le Docteur Fieuzal, Médecin Fondateur de la Clinique Ophtalmologique des Quinze-Vingts, auprès du Docteur de Wecker, décida aussitôt d'une énucléation qui eut lieu le 26 avril 1867 dans son appartement.
L'intervention et ses suites sont bien relatées dans plusieurs lettres dont nous vous donnons de larges extraits : une lettre écrite quelques mois plus tard par le Docteur Fieuzal au père de Gambetta, puis la lettre que le malade envoya lui-même à ses parents un mois après l'énucléation, enfin les commentaires personnels de Wecker rapportés par le Docteur Cabanès.
Gambetta s'était présenté chez le docteur de Wecker un vendredi. L'opération fut décidée, séance tenante, pour le mardi suivant à 10 heures du matin. A l'heure précise, le docteur de Wecker, accompagné de son assistant, le docteur Borel (de Rouen), faisait son entrée dans le modeste logis occupé par Gambetta.
Il habitait, rue Bonaparte, au 5e étage, un tout petit appartement que l'on peut aujourd'hui facilement repérer car c'est celui qui fait l'angle du côté gauche avec la place Saint-Germain, à l'entrée de la rue. Le Docteur Fieuzal et quelques amis du jeune avocat étaient présents. Bien qu'assez répandu dans les cénacles, le nom de Gambetta n'avait pas franchi un certain cercle : n'oublions pas qu'on était au mois de juin 1867, par conséquent cinq mois avant le procès Baudin qui fut à l'origine de la fortune du tribun.
Lettre de Fieuzal à Joseph Gambetta Cher Monsieur Gambetta, Il y a quelques temps déjà que j'avais l'intention de vous écrire pour vous donner des détails précis sur l'intervention qu'a dû subir mon excellent ami, votre fils ; mais je n'ai pas voulu le faire avant de pouvoir vous donner les nouvelles les plus rassurantes sur son état. Léon souffrait depuis longtemps de l'oeil qu'il a si malheureusement perdu, il y a une quinzaine d'années et plus ; mais les douleurs n'avaient pas encore le caractère qu'elles avaient pris il y a un mois et demi ; de sorte que, bien que je fusse persuadé depuis longtemps déjà qu'i1 faudrait en venir à l'extirpation de l'oeil perdu pour conserver à l'autre son intégrité, j'attendais toujours que l'opération, qui n'est pas sans danger par elle-même, fût devenue tout à fait urgente. C'est ce qui est arrivé il y a un mois et demi. Les douleurs de l'oeil perdu se transmettaient à l'oeil gauche et empêchaient Léon de se livrer sans grands dangers à la lecture, même pour très peu de temps. Comme il est d'une activité dévorante et que je savais bien que je n'obtiendrais pas de lui le repos qui lui était absolument nécessaire pour ne pas devenir aveugle, je n'ai pas hésité à lui faire part ce ce que je croyais qu'il y avait à faire et je l'ai conduit immédiatement chez un des meilleurs oculistes de Paris, le Docteur de Wecker qui, ayant examiné l'oeil, a déclaré qu'il n'y avait pas de temps à perdre et qu'il fallait pratiquer l'extirpation de l'oeil. Léon voulait attendre les vacances de la Pentecôte pour que son travail n'eût pas à en souffrir, mais M. de Wecker ne l'a pas permis et il a bien fait: il est venu, le lendemain, chez Léon, faire l'opération. Il était assisté de trois aides qu'il avait amenés, Péphaù, notre ami, qui avait voulu rester là, et moi qui surveillais le pouls pendant que le pauvre Léon était sous l'influence du chloroforme. L'opération a été faite avec une habileté vraiment extraordinaire et M. de Wecker lui a donné les soins les plus assidus et aussi les plus affectueux. Votre fils est resté condamné au lit et à la chambre obscure pendant une dizaine de jours ; après quoi, il a été autorisé à passer dans son cabinet, tout en conservant un régime très sévère et grâce auquel l'opération a réussi. Il y a quinze jours qu'il a commencé à sortir avec Péphau qui l'accompagnait chez M. de Wecker et, depuis quelque temps déjà, la cicatrice est assez insensible pour qu'on ait pu lui appliquer un oeil de verre qu'il remplacera dans une dizaine déjours, je crois, par l'oeil définitif. En somme, tout a marché à merveille et nous sommes tous enchantés, Léon le premier, du résultat obtenu. Il a besoin encore au moins d'un mois de repos; car l'oeil sain se fatigue très rapidement et il ne lui est pas encore permis de lire, ni, à plus forte raison, d'écrire, ce qu'il a fait néanmoins quelque fois, mais avec une fatigue extrême. C'est une question de temps et, désormais, il est à l'abri de la crainte de devenir aveugle. Voilà, cher Monsieur, les détails que vous me pardonnerez de ne pas vous avoir donnés avant que tout fût en bon état; car, il y a quelque temps, il n'eût pas été possible de vous rassurer assez pour vous faire part de cette opération à laquelle vous ne pouviez rien, et j'ai pensé qu'il valait mieux la tenir secrète. Veuillez agréer, cher Monsieur, pour vous et les vôtres 1'assurance des sentiments sincèrement dévoués de votre compatriote. Dr. Fieuzal
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Lettre de Léon Gambetta à son père Mon cher père, Depuis deux mois, voici le premier jour où je reçois la permission d'écrire quelques lignes; je n'ai pas voulu te mettre au courant de ma situation avant d'avoir des résultats certains à t'annoncer. Je vais tâcher d'être court. j'ai été très malade des deux yeux; mon oeil malade s'était décomposé et exerçait une influence très nuisible sur le bon; après m'être très sérieusement consulté, grâce à mon excellent ami, le docteur Fieuzal, j'ai été mis en rapport avec un éminent oculiste, le docteur de Wecker, qui m'a extirpé l'oeil droit et me remettra un oeil artificiel, quej'ai déjà essayé et qui me va au point de faire illusion. Je serai donc, à l'avenir, à l'abri de toute maladie et mon oeil gauche conservera toute sa force. Mais je suis condamné au repos le plus absolu encore pour un grand mois; tu dois comprendre qu'en cet état, privé de travail à l'époque la plus laborieuse de l'année, mes ressources s'épuisent rapidement. j'ai à faire face à toutes mes dépenses ordinaires et, à cause de l'Exposition, la vie est hors de prix; en outre, mon oeil artificiel, dont il faut faire un modèle, me coûtera à peu près neuf cents francs ; sans compter un cadeau considérable que je serai dans l'obligation de faire à mon docteur, qui ne veut pas d'argent. Tout cela me fait une position assez critique et j'ai bien besoin qu'on me vienne en aide. En outre, le régime que je suis et qui exclut les pâtes, les légumes secs et ordonne la viande noire et le vin seulement, me cause un surcroît de dépenses. Tu apprécieras ma situation à merveille et tu verras ce que tu peux faire pour moi. L'important, c'est que tout a très bien réussi : ma blessure est en état de parfaite cicatrisation ; dans huit à dix jours, je pourrai mettre mon oeil artificiel quelques heures par jour, et dans un mois, je serai guéri complètement et méconnaissable. Quand ma mère et ma soeur pourront m'embrasser, je serai absolument changé, même pour leurs excellents yeux. J'ai reçu, pendant ma maladie, la visite sympathique de tous mes amis et j'ai eu un grand soulagement de compter dans Paris, parmi les plus grands personnages, les plus solides amitiés. Je vous embrasse tous du fond du coeur. Léon Gambetta
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Les présentations faites, les médecins se mettaient à l'oeuvre. Gambetta se coucha résolument et on le soumit aussitôt aux inhalations d'éther. Une minute ne s'était pas écoulée que le malade dormait profondément.
"L'opération se passa très simplement et put être exécutée avec la plus grande rapidité, bien qu'il s'agit de l'ablation d'un oeil en forme de poire, qui avait le double de sa longueur normale: le diamètre antéro-postérieur n'avait pas moins de 5 centimètres... Gambetta avait supporté les premières suffocations, produites par l'anesthésique, sans laisser paraître l'angoisse qu'on ressent au début de l'inhalation".
Trois jours après l'opération, le malade était sur pied. Le docteur de Wecker, qui rendait souvent visite à Gambetta, rencontrait chez celui-ci de très nombreux amis.
"... Je ne pouvais comprendre une pareille dévotion, par la raison que j'avais recommandé à mon malade le calme et le silence. Poussé par la curiosité, j'en vins même à adresser cette question à l'un de ses fidèles compagnons: Dites-moi donc, je vous prie, ce qu'est votre Gambetta ? - Ah ! me répondit-il, vous ne le connaissez pas encore, mais vous verrez ce qu'il sera un jour!".
En signe de gratitude, Gambetta offrit à de Wecker un coupe-papier de Barbedienne, ayant pour manche la Vénus de Milo.
"C'est, fit remarquer l'éminent opérateur, tout ce que j'ai retiré du grand homme. A mesure qu'il montait, je m'éloignais de lui, ayant en horreur le rôle de solliciteur, dans lequelje serais infailliblement tombé si l'on m'avait su un des intimes du tribun".
Ainsi, le récit que fit lui-même le Docteur de Wecker au Docteur Cabanès qui avait sollicité son témoignage diffère quelque peu de la lettre du Docteur Fieuzal, tout au moins dans la relation qu'en fait l'historien.
Il n'est plus question d'anesthésie au chloroforme mais à l'éther.
Notons cependant que Gambetta bénéficia d'un traitement de faveur de la part de de Wecker car nous pouvons lire dans son "Traité de Chirurgie" qu'il pratiquait très souvent l'énucléation sans anesthésie et "qu'après tout, cette intervention n'était pas très douloureuse". On en était presque encore à la période napoléonienne où Larrey amputait aussi sans anesthésie.
Il faut noter aussi les précautions importantes qui furent prises pour son retour à la vie normale et, en particulier, la crainte d'ophtalmie sympathique qui semble dicter cette conduite.
Notons enfin le prix fantastique d'un oeil artificiel puisque neuf cents francs or à cette époque correspondent au prix d'une voiture aujourd'hui.
De toute façon cette prothèse fut de bonne qualité puisque par la suite personne ne parla plus de cet oeil de Gambetta, à part certains de ses ennemis qui insistaient sur sa fixité.
Portrait-charge pour montrer que la prothèse avait quelquefois tendance à s'exorbiter. Signalons qu'un jour un Député de Droite ayant assisté à la chute de l'objet sur la tribune de la Chambre, fit la remarque, suivante |
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Quelques temps après l'intervention, au mois de septembre suivant, d'après certains historiens le Docteur de Wecker remit l'oeil énucléé à un des histologistes les plus habiles de l'époque, le Docteur Ivanoff, alors Professeur à Kiev. "Voici une pièce à laquelle je tiens beaucoup, lui dit-il; c'est un oeil qui provient d'un homme appelé, j'en suis sûr, à jouer un rôle des plus importants; prenez-en, je vous prie, le plus grand soin".
Au cours des mois et des années suivants, le docteur de Wecker réclama le résultat de l'examen histologique, mais en vain: Ivanoff restait sourd à ses appels réitérés. "J'eus beau solliciter d'Ivanoff la description de l'oeil remis; j'eus beau me mettre en quatre, sous le ministère Ferry, afin d'obtenir pour ce confrère l'autorisation d'exercer dans le Midi de la France; rien n'y fit. On ne me donna ni détails, ni la pièce, que j'avais à regret laissé échapper". Qu'était devenu l'oeil de Gambetta? C'était un mystère qui restait à éclaircir.
On interrogea Ivanoff lorsqu'il revint terminer sa vie en France et séjourner à Menton, en compagnie de son ami et élève préféré, le duc Charles-Théodore de Bavière, propre frère de l'impératrice d'Autriche et de la reine de Naples et père de la reine Elisabeth de Belgique; de plus, il était accessoirement ophtalmologiste.
On pensa que c'était à lui qu'Ivanoff avait confié ses collections d'anatomo-pathologie mais il nia totalement les avoir jamais vues. On s'adressa ensuite à l'Université d'Heidelberg où avaient été réunie la plus grande partie des préparations anatomo-pathologiques du savant russe. Mais le Professeur Leber, de l'Université d'Heidelberg indiqua que la collection d'Ivanoff avait bien été un moment entre les mains du duc Charles, puis qu'elle était devenue la propriété du professeur Everbusch, directeur de l'Université d'Erlangen. Celui-ci reconnut avoir reçu une partie des collections d'Ivanoff mais, dit- il, "les pièces sont toutes confondues ensemble, sans espèce de désignation... J'ignore où Ivanoff a laissé ses préparations macroscopiques d'anatomie et je ne sais en quelles mains elles sont passées".
Là, la confusion était totale ; l'énigme paraissait indéchiffrable et, d'après les auteurs français de la fin du XIXe siècle, on pensait toujours que l'oeil énucléé de Gambetta se trouvait dans un musée allemand, ce qui permit au docteur Cabanès de dire "qu'il était plaisant de penser que, si le grand patriote avait toujours gardé de son vivant l'oeil tourné de l'autre côté des Vosges, le deuxième se trouvait toujours aux mains de ses adversaires".
Après la lecture de cet article de Cabanès, le Docteur Amalric a écrit à son confrère et ami, le Professeur Jaeger de l'Université de Heidelberg, qui lui adressa la réponse suivante :
"Cher ami,
Mille fois merci pour votre lettre sur l'oeil de Gambetta.
Il va de soi que c'est avec plaisir queje vais essayer de vous rendre service. C'est dans ce sens que j'ai envoyé votre lettre et la photocopie qui y était jointe au Professeur Liverk d'Erlangen. S'il y a vraiment quelqu'un qui puisse vous être utile, c'est bien lui car il connait aussi parfaitement la collection de Heidelberg que celle d'Erlangen. Je ne peux donc que vous encourager par cette réponse provisoire en tant qu'intermédiaire et j'ai demandé pour cela au Professeur Liverk de vous écrire ......
Le Docteur Amalric eut l'idée de demander au Musée de Cahors, qui conserve tout un ensemble de reliques du grand homme remis en 1930 par sa soeur, Madame Leris-Gambetta, si l'on ne pourrait obtenir quelques précisions concernant cet oeil. Madame Haselberger, conservateur, lui apprit que ce globe oculaire avait également été remis par la soeur du grand tribun au Musée de sa ville natale.
Depuis cette époque, il était conservé dans un flacon de verre. D'ailleurs, pour la plupart de ceux qui furent amenés à le voir, il ne s'agissait pas d'un oeil mais, tout un plus, de la prothèse oculaire.
Le Docteur Amalric s'est alors rendus à Cahors où, aussitôt, il a pu juger qu'il s'agissait bien d'un globe oculaire atrophié par le temps, contenu dans un flacon rendu vide par l'évaporation du liquide fixateur.
Il y avait aussi un signe particulier important : l'étiquette placée sur ce flacon au moment de l'énucléation. Sur celle-ci, on pouvait parfaitement reconnaître la signature de L. de Wecker ainsi que la date de l'intervention chirurgicale. Malgré quelques difficultés on peut aussi lire certains mots comme: glaucome, irido-choroïdite. Sur le bouchon, on a calligraphié il y a longtemps: "Oeil de Gambetta", ce qui en identifie également l'origine.
Le problème n'était pas de discuter l'authenticité ou non de cette pièce anatomique mais surtout de voir s'il n'y avait pas, par un examen radiographique, la possibilité de voir si ce globe avait été perforé par un corps étranger et si ce corps étranger persistait encore à l'intérieur.
N'oublions pas qu'au moment de l'accident (1848) et de l'énucléation (1867), la radiographie n'existait pas. Il était impossible d'enlever le globe de son bocal sans couper le verre, ce qui aurait été regrettable. C'est dire que c'est à travers le verre qu'ont été réalisés à Albi, au Centre Hospitalier, grâce à la collaboration de Madame Folgoas et de ses techniciens, plusieurs radiographies et un examen tomodensitométrique.
Cette vision à l'intérieur du globe, pour aussi extraordinaire qu'elle soit sur le plan de l'Histoire, confirme bien les données de l'accident telles qu'elles ont été décrites depuis longtemps déjà.
Mais il était aussi amusant de radiographier un oeil qui avait été énucléé en 1867, près de 35 ans avant la découverte des rayons X. On pouvait se demander si, radiographié à cette époque, au cas où il y aurait eu un corps étranger, cet oeil n'aurait pas pu être sauvé.
La radiographie standard nous a révélé, à l'intérieur du globe à paroi très amincie, une condensation qui correspond parfaitement à un cristallin luxé. Tout autour, une membrane plus ou moins épaisse: la membrane chorio-uvéale. Mais pas de trace de corps étranger intra-oculaire. Les ectasies sclérales, dont parle le Docteur de Wecker, se sont atrophiées avec le temps et ont disparu, ce qui n'est pas surprenant étant donné l'extrême minceur actuelle du globe. |
Certains se demanderont s'il est possible qu'un oeil se conserve aussi longtemps sans s'atrophier totalement. Certes, ce globe avait dû être préparé par un fixateur.
On utilisait souvent à l'époque l'esprit-de-vin et c'est peut-être ce qui donne à ce globe et au bouchon du flacon cet aspect un peu bleuâtre. Mais il faut savoir aussi que, même non fixées, la sclérotique et la cornée, particulièrement dures et résistantes, sont parfois retrouvées très longtemps après la mort dans des conditions de conservation assez étonnantes. Nous savons, par exemple, que chez les momies égyptiennes, ont pû être étudiées au microscope, après imbibition aqueuse, certaines structures que l'on a retrouvées avec une intégralité cellulaire évidente.
Très beau portrait de Gambetta lorsqu'il fut Président du Conseil. On remarque sur cette gravure le léger enfoncement orbitraire droit et l'absence de reflet de la prothèse.
Nous savons que cet oeil fut pour Gambetta une source permanente de souffrance et d'inquiétude car, comme beaucoup de borgnes, il avait l'angoisse de devenir aveugle.
Ceci contribua à accroître l'amitié qu'il portait au Docteur Fieuzal, ophtalmologiste à Paris, et c'est à la demande de celui-ci que fut créée la Clinique Ophtalmologique des Quinze-Vingts.
Gambetta, personnage influent de la 3e République, avant même de devenir Président du Conseil, permit cette réalisation majeure de l'ophtalmologie actuelle.
Parmi les héritiers du grand homme politique, il faut signaler enfin que son neveu, le général Jouinot-Gambetta, eut son heure de gloire pendant la guerre de 1914-1918 quand, à la fin de celle-ci, avec sa brigade de cavalerie, il traversa les Balkans dans une charge digne des meilleurs épisodes des guerres révolutionnaires, pour aller, le premier depuis Napoléon, amener ses chasseurs sur les bords du Danube.
Quant on sait que l'armée de l'Orient fut commandée par le général Guillaumat, on peut penser que, par un coup d'oeil du destin, le général Gambetta se trouva un jour sous les ordres d'un homme dont le fils, le Docteur Guillaumat, devait plus tard devenir un des Chefs de Service de la Clinique Nationale Ophtalmologique des Quinze-Vingts.
Et ainsi la courbe se termine, depuis le triste accident oculaire d'un enfant vers la plus célèbre maison où sont traités chaque jour avec succès des cas comparables.