Le site des ophtalmologistes de France
On peut diviser l'évolution de la médecine grecque en quatre périodes :
L'histoire de la première période est toute entière du domaine de la fable. D'après la légende, ce serait le centaure CHIRON qui aurait été le fondateur de la Médecine et de la Chirurgie. Il aurait été en outre, le premier ophtalmologiste puisqu'il aurait rendu la vue à de jeunes phéniciens surpris en flagrant délit de viol, que leur père, AMINTOR, avait fait aveugler, pour les punir de ce crime d'impureté.
D'après APOLLODORE, Chiron fut le maître d'ASCLEPIOS (Esculape), fils d'APOLLON et de CORONIS, que son père avait enlevé, en très bas âge, et conduit auprès du Centaure pour qu'il lui enseignât la médecine et la chirurgie.
Nous retrouvons encore HOMERE, qui dans l'Iliade fait allusion à des traumatismes ayant entrainé des troubles visuels. Ainsi HECTOR frappé sur son casque, lors de son combat avec DIOMEDE, est atteint d'une cécité temporaire suivie d'une perte de connaissance.
HOMERE était-il aveugle ?. Selon les croyances anciennes, la perte de vue serait liée, par une sorte de compensation magique, à la clairvoyance et au don de création poétique de chant et d'enchantement. En lui attribuant, avec THUCYDIDE et ARISTOPHANE le majestueux "Hymne à Apollon", on doit admettre sa cécité, car 1'auteur de ce chant se décrit lui-même comme "un homme aveugle (tuphlos aner) qui demeure dans l'âpre CHIOS"
Plusieurs "Vitae homeri" mentionnent la cécité du grand poète, mais elles sont toutes très tardives. D'après la biographie d'HOMERE faite par PROCLOS, "certains prétendent qu'il reçut son nom du fait de l'infirmité de ses yeux ; car selon eux, les Eoliens désignent les aveugles par le nom d'homèroi".
On trouve la trace de cette opinion ancienne chez EPHOROS, historien grec du IV siècle avant-JC ; selon lui le poète changea son nom en Homère à cause de sa cécité, car on nommait ainsi les aveugles du fait qu'ils se servaient de guide (ton homereuonton). D'après une biographie attribuée faussement à HERODOTE, Homère aurait contracté une ophtalmie à Ithaque et serait devenu aveugle à Colophon. De tels récits présentent un certain intérêt comme documents historiques sur les maladies des yeux à l'époque où ils furent composés, mais n'ont aucune valeur pour le diagnostic de la maladie d'Homère.
L'art de guérir fut tout d'abord le privilège de certaines familles, telle celle d'ASCLEPIOS, roi de TRIKKA, dont Homère chantait l'habileté et dont Pindare fit un dieu.
A l'origine le nom thessalien d'Esculape est "Askalapios", et ce terme désigne la taupe, très abondante en Thessalie ; cet animal était considéré comme-un animal guérisseur dans la médecine magique. Esculape était donc primitivement un dieu-taupe, une divinité émanée du sol.
Il eut cependant une fin tragique. Comme il ressuscitait même les morts, Jupiter, irrité, le foudroïa à la prière de Pluton, dieu des Enfers, dont l'empire courait le risque de devenir désert.
Ce dieu avait pour symbole le Caducée, baton surmonté d'un miroir autour duquel s'enroule un serpent ; sa première fille était HYGIE, déeese grecque de la santé, dont le domaine était les soins généraux et la propreté sa seconde se nommait PANACEE.
Sortant du domaine da la fable, vers le VIIè siècle av. JC., nous trouvons la médecine entre les mains des prêtres descendants d'Esculape, qui forment une caste d'initiés sous le nom d'Asclepiades ; elle s'exerce dans les temples. Ces Asclépiades, ce terme désignant surtout des ensembles monumentaux dédiés à Esculape, sont des lieux de culte, des centres d'hospitalisation situés souvent près d'une source thermale. Parmi les plus connus nous citerons Epidaure, Pergame, Cos, Cnide, Ephèse et Athènes. Dans les ruines d'Epidaure, il a été retrouvé des inscriptions faisant allusion à des traitements de maladies oculaires, ainsi que des ex-voto oculaires. En voici une qui nous intéresse.
A défaut d'Esculape, dans ces Asclépiades, les serpents apprivoisés rendaient les oracles, d'après les rêves des patients, et indiquaient les remèdes.
Une comédie d'ARISTOPHANE, PLUTUS, représentée en 390 av. JC., nous fait assister dans le temple d'Esculape à la guérison de la cécité de Plutus ; les railleries du comique grec nous montrent le discrédit en lequel tomba rapidement cette thérapeutique sacerdotale.
Nous en donnons le résumé ici : Plutus,dieu de la richesse, a été frappé de cécité par ZEUS.
C'est seulement un Siècle plus tard, au VI siècle, dans la grèce antique que l'étude de l'oeil prit une certaine individualité grâce à ALCMEON de CROTONE.
Disciple de PYTHAGORE, instruit à l'école médicale de Crotone, il inaugura la méthode expérimentale en biologie. Il se documenta sur la structure du corps en procédant pour la première fois à la dissection des cadavres d'animaux ainsi qu'à des vivisections animales et il distingua les veines qui conduisent le sang et les artères.
Il s'attacha spécialement aux organes des sens et à leur relation avec le cerveau. Il donna un aperçu confus de la fonction visuelle. Il semble avoir perçu le rapport entre le nerf optique et l'encéphale. De même que les Egyptiens, il pensait que le nerf optique était un canal accompagné d'une artère et d'une veine ; ce canal appelé "poros" transportait les sensations vers le cerveau. Cette hypothèse, reprise par HIPPOCRATE, PLATON et DEMOCRITE fut battue en brèche par ARISTOTE, EMPEDOCLE, les stoiciens qui estimaient que les sensations étaient transmises par l'intermédiaire du coeur.
L'unique ouvrage d'Alcméon, que l'on peut considérer comme le premier traité de physiologie, a été très tôt perdu, et de ce fait, méconnu ; mais il a exercé une grande influence sur ses disciples immédiats.
Surnommé à juste titre le Père de la Médecine, HIPPOCRATE naquit en 460 av. JC., dans l'ile de Cos. Il était de famille médicale, fils et père de médecins. Il appartenait à l'Asclépiade de Cos, ce qui a donné naissance à la légende d'après laquelle il aurait été un descendant direct d'Esculape. Il voyagea beaucoup, parcourut presque toute la Grèce et alla même en Egypte et en Asie Mineure.
Son oeuvre fut considérable. Les ouvrages qui lui sont attribués sont fort nombreux puisqu'ils comprennent 153 écrits répartis en 72 livres, mais certains sont apocryphes et d'origine tardive écrits par des élèves ou leurs descendants. La meilleure traduction française est sûrement celle de LITTRE. L'analyse de l'oeuvre d'Hippocrate permet de distinguer deux parties, l'une consacrée à la description des maladies, qui est excellente ; l'autre à la recherche de leurs causes, qui est plus discutable. Il eut le mérite de mettre en valeur l'examen clinique et de débarrasser la médecine de sa gangue magique. Mais les préjugés religieux, autant que les lois qui punissaient la violation des cadavres furent en Grèce un obstacle à ses progrès.
Hippocrate ne semble pas s'être très intéressé personnellement aux affections oculaires, en revanche, comme nous le verrons par la suite, ses élèves HEROPHILE et ERASISTRATE étudièrent l'ophtalmologie autant sur le plan anatomique que physiologique et
a) Anatomie et Physiologie
L'anatomie de l'oeil est à peine indiquée dans la collection hippocratique.
Le nerf optique n'est plus considéré comme un canal, mais comme un tractus blanc. L'oeil est nourri par de multiples petits canaux provenant du cerveau. Il est constitué de trois tuniques : la plus externe est épaisse ; la plus interne est très fine. La pupille(Chorè ) est le centre de la vision et c'est d'elle que partent vers le cerveau les sensations visuelles.
La vision, écrit l'auteur hippocratique, est dûe à :
Autant pour Hippocrate l'anatomie reste superficielle et la physiologie imaginaire (on en est à la théorie pneumatique), autant sa clinique est profonde et réelle. Il suffit de savoir observer, c'est à dire recueillir des faits, les comparer entre eux et en tirer un syndrome morbide.
b) Clinique et Pathologie
On trouve éparses dans la collection Hippocratique une trentaine d'affections oculaires dont la description est excessivement vague, ce qui s'explique par leur manque d'étude anatomique et par l'absence de terminologie fixée.
Les "ophtalmies", divisées en sèches et humides sont indiquées dans le livre des Epidémies : leur caractère épidémique est signalé à côté de l'influence saisonnière.
(Epidémies, ler livre, Section Seconde, constituion seconde n°4)
(Aphorismes, troisième section, n°11)
(Aphorismes, trosième section N° 12).
(Aphorismes, troisième section N° 14).
Cette phrase s'inscrit dans le sens général où toute circulation de liquide amène à la guérison. (Coanpronostique N° 220).
(Prothétiques, 2è Livre, N° 18).
Dans cet ouvrage des prothétiques, Hippocrate tendait à développer le pronostic. Bien qu'il écarte les folies de la prédiction médicale, Hippocrate, en véritable médecin attache le plus grand soin à l'enseignement de l'observation minutieuse et de ses conséquences.
(Prothétiques, 2è Livre, N° 19).
Ici Hippocrate rattache l'importance de l'opacification à la gravité et à la profondeur de l'ulcération.
2 cas avec leur interprétation :
(De la Vision, N°1).
(Prothétiques, 2è Livre, N° 20).
L'interprétation de ce passage par J. SICHEL qui a traduit ce texte dans l'édition d'Hippocrate de LITTRE est la suivante
Le passage suivant d'Hippocrate, a donné lieu à de très nombreux commentaires et il nous concerne particulièrement : c'est celui appelé : "l'épidémie de PERINTHE, qui aurait été la diphtérie.
Les signes y sont décrits : troubles paralytiques, toux, angines, température, puis vient ce passage
D'après Aristote, les yeux noirs, les pupilles petites, les yeux qui changent de couleur prédisposent à l'héméralopie pour la simple raison que ce sont des signes externes d'un tempérament humide et, en particulier de l'abondance innée de l'humidité dans la tête et dans les yeux.
(Aristote, Gen. anim., 780 a).
D'après PALLADIOS ; les yeux noircirent, les pupilles devinrent petites et les globes oculaires s'agrandirent sous l'effet de cette affection.
La difficulté de compréhension de ce texte vient du mot "hupopoikilè". Galien l'entendait comme signifiant que les yeux étaient de couleur changeante. Littré traduit par "de couleur un peu variée". Si hupopoikilè désigne des yeux chatoyants, ou avec des tâches légèrement colorées, il est possible que ce soit la première mention d'un symptome qui cataractérise la xérophtalmie.
C'est seulement en 1863 que BITOT publia la première description des tâches blanchâtres ou plutôt de couleur gris perle, légèrement irisées, qu'il observa sur la conjonctive des enfants sous alimentés d'un orphelinat de Bordeaux et dont il nota la coincidence avec les troubles de la vision nocturne. On précisera plus tard la nature véritable de ces tâches xérophtalmiques : elles sont l'expression clinique d'une dégénérescence de la cornée qui est dûe, tout comme l'affaiblissement de la vision en faible lumière, à la carence en Vitamine A.
Il semble donc que l'auteur hippocrate ait vu et mentionné, d'une façon sommaire ce qui pourrait être les tâches nacrées de Bitot, mais que ce constat soit alors demeuré sans grande valeur pour la science médicale.
Enfin, on pourrait évoquer devant cette description les signes d'une pseudo-rétinite pigmentaire.
Hippocrate cite et définit ainsi cette affection,:
(Prothétiques, 2ème Livre, N° 33).
(Prothétiques, 2ème Livre, N°34).
D'après SICHEL il s'agirait d'ophtalmies épidémiques des enfants surtout lymphatiques, survenant aux changements de température atmosphérique.
D'après GOUREVITCH, en examinant à la lumière des connaissances médicales actuelles les passages hippocratiques où intervient la notion de "nyctalopie", on trouve plusieurs bonnes raisons pour restreindre le diagnostic rétrospectif à l'héméralopie au sens moderne, plus précisément à la forme acquise de cette dernière, c'est à dire un défaut d'adaptation à l'obscurité qui est d'origine carentielle.
Nous trouvons dans le troisième livre des Epidémies (No 84) un passage dont l'interprétation a subi une évolution dans les temps. En voici le texte complet
En interprétant ce passage hippocratique, les médecins du XIXè siècle ont séparé les symptomes oculaires des symptomes buccaux et génitaux. On attribuait les premiers au trachome et bien que vague, la description des symptomes génitaux était regardée comme la meilleure preuve directe de la présence d'une maladie vénérienne (syphilis ou blennorragie), dans l'Antiquité classique. Or en 1937, le dermatologirste HULUSI BEHCET a reconnu l'existence d'un syndrome particulier qui associe une uvéite à hypopion, une aphtose buccale et des ulcérations des organes génitaux : appelé maladie de Behcet. L'accord entre le tableau tracé par Hippocrate et les descriptions modernes de la maladie de Behcet semble correspondre d'autant plus qu'il s'agit d'une maladie sporadique, liée à certaines aires géographiques en particulier le bassin méditerranéen, ainsi que le précisait Hippocrate antérieurement.
Le terme de glaucosis (glaucome) dans la collection hippocratique parait désigner toute une catégorie d'affections oculaires ayant comme symptome commun le trouble qui apparait en le noir de l'oeil.
Le strabisme (strabos=louche), signalé par Hippocrate dans les Prorrhéiques (II,5) est la suite de l'épilepsie, ou bien il constitue une affection héréditaire.
L'amblyopie, d'après Hippocrate, est due à l'hydropisie du cerveau ou à l'occlusion du canal allant de l'oeil au cerveau.
On trouve cette description dans le livre des épidémies (VII / N° 88).
THERAPEUTIQUE
Le traitement des maladies oculaires consiste surtout à dériver le cours des humeurs. Dans ce but sont employés la saignée, les ventouses, les gargarismes, principalement pour traiter les "ophtalmies".
a) Traitement des conjonctivites
(Aphorismes, 6ème section, N° 31).
(Aphorismes, 7ème section, N° 46).
Une remarque à propos de ce paragraphe 46 : Galien condamnera plus tard cet aphorisme des commentateurs, inexpérimentés dans la pratique, prétendaient le justifier en disant que, s'il y a excès d'un sang épais et mal aux yeux, le vin pur et le bain dissiperont ce sang épais, et la saignée amènera la solution du mal aux yeux. Galien répondra que, s'il y a Pléthore sanguine avec mal aux yeux, le vin pur sera nuisible, que s'il y a mal aux yeux sans pléthore sanguine, c'est la saignée qui nuira.
(De la Vision, N° 9).
Ce livre d'Hippocrate "péri opsios" (mais certains auteurs considèrent qu'il ne serait pas de lui), montre l'intérêt qu'il avait cependant pour les connaissances des maladies des yeux. Le conseil qu'il donne de ne pas fermer les yeux longtemps dénote un praticien expérimenté.
Traitement de l'ophtalmie catarrhale (du grec cata vers le bas et rhéin s'écouler) avec érosion
(De la vison, N° 6).
Nous pouvons évoquer devant cette description et ce traitement la conjonctivite du trachome.
b) Traitement de la nyctalopie
(De la Vision, N° 7).
Le remède, qui est pour la première fois cité dans ce passage (la vitamine A contenue dans le foie de boeuf) a été plus tard employé en fumigation contre l'héméralopie.
CHIRURGIE
La Chirurgie oculaire est à peine indiquée dans l'oeuvre d'Hippocrate. Contre les affections palpébrales il est procédé au raclage de la conjonctive avec un corps dur (blépharoxysis).
(De la vision N° 4).
On trouve pour la première fois mentionné dans ce paragraphe le traitement chirurgical des granulations palpébrales, des trachomes (trachus=raboteux).
Ici en praticien expérimenté Hippocrate signale encore deux autres dangers de l'opération : celui de léser la prunelle, et celui de détruire le cartilage tarse.
(De la Vision N°5)
Il s'agit ici aussi de la cautérisation des paupières granulomateuses. En bon observateur, Hippocrate avait reconnu les dangers de la localisation trop près du bord libre de la paupière, qui conduirait au trichiasis.
Enfin, dans le même opuscule, Hippocrate cite l'amaurose :
(De la Vision N° 18).
Il s'agit ici d'une amaurose (de amauroo=j'obscurcis) symptomatique d'un épanchement dans le cerveau traitée par la trépanation. Ce texte peut s'associer à celui des "Maladie"
(Maladies, II, N° 15
Le traitement de l'amblyopie - celle-ci étant due à l'hydropisie du cerveau - consistait, pour évacuer cette eau ramassée sous le crâne en une incision suivie d'une véritable trépanation.
Enfin, est encore indiquée l'extraction du pus de l'intérieur de l'oeil au moyen d'une incision profonde à la partie inférieure de la cornée, au point appelé limbe.
Dans une troisième période la médecine est transportée de Grèce en Egypte.
Alexandrie, capitale des Lagides, fut fondée en 332 Av. JC. par Alexandre le Grand. Position exceptionnelle de cette cité, touchant d'un côté la mer, de l'autre le lac Maréotis et qui, par le Nil communiquait avec l'Egypte toute entière. Elle se trouvait.d'une part,à égale distance de la Grèce, de la Syrie et de l'Asie mineure.
Alexandrie ne tarda pas à devenir le centre le plus connu du monde hellénique ; elle succéda à Athènes dans l'hégémonie du monde antique et fut, plus tard, l'initiatrice de Rome comme cité mère des sciences, des lettres et des arts.
Vers le IIè siècle,Ptolémée Soter institua à Alexandrie une importante école de Médecine, dont la bibliothèque est restée célèbre. Cette école qui tirait ses sources des anciens Egyptiens, fut à l'origine de toutes les connaissances en Ophtalmologie de la Médecine grecque, puis à travers elle de la médecine romaine.
Le roi Ptolémée comprit tout d'abord le secours merveilleux que lui offrait la religion. De communes croyances tisseraient de solides liens entre les peuples, aussi Grecs et Egyptiens devaient retrouver leur divinité autochtone à Alexandrie. On éleva donc des temples à ISIS et à SERAPIS en même temps qu'aux dieux de l'Olympe.
Puis Ptolemée sollicita la vente des manuscrits rares ou précieux qu'il paya royalement et logea dans un des palais du quartier du Bruchium. A sa mort sa collection comptait déjà 200 000 livres. Ptolemée II philadelphe, qui partageait les gouts éclairés de son père, y ajouta 300 000 livres. Ptolemée III Evergete petit-fils de Soter eut 1'idée providentielle de fonder une seconde bibliothèque et de l'installer dans un autre quartier de la ville, au Serapeum, vieux temple dont les souterrains renfermaient les tombeaux d'APIS. Celle-ci ne tarda pas à comprendre 200 000 volumes.
Située donc en dehors du Bruchium cette deuxième bibliothèque fut épargnée par l'incendie de l'an 47 av. JC., par César lorsqu'il se rendit maître d'Alexandrie. Avec les livres échappés au feu, et la collection de Pergame, offerte à Cléopâtre par Antoine, elle contribua à reconstituer la grande bibliothèque, laquelle sous l'empereur Aurélien et sous la conquête Arabe, devait subir de nouveaux et irréparables désastres.
L'école d'Alexandrie, qui réunissait toutes les célébrités que la Grèce comptait à cette époque, comprenait un grand nombre de médecins. La médecine fit de rapides progrès, dus au fait que pour la première fois, on pût pratiquer des dissections sur des cadavres humains, auxquelles la loi et les moeurs de la Grèce ancienne s'étaient toujours opposées.
Les maîtres Alexandrins
L'époque Alexandrine, en matière médicale et en particulier en Ophtalmologie, est surtout marquée par deux noms Herophile et Erasistrate, tous deux disciples d'Hippocrate.
HEROPHILE est né en Asie Mineure, réservoir de la Grèce en savants et hommes de qualités. Plus précisément, il est originaire de Bithynie, dans la ville de Chalcédoine, d'où le surnom d'Herophile le Chalcédonien qui lui est souvent donné. Il est né dans le dernier tiers du IVè siècle av. JC.
Nous savons qu'il eut pour maitre, d'une part, un des derniers Asclépiades PRAXAGORE de COS, et d'autre part un représentant de l'école de Cnide = CHRYSIPPE, médecin qui avait beaucoup voyagé en Egypte, où il avait apprécié les drogues d'origine végétale.
Formé à la fois par un hippocratique et un cnidien, Herophile fit la synthèse entre le savoir clinique de Cos et la recherche de l'explication logique des causes, pratiquée à Cnide.
Il passa sa vie à Alexandrie, publia plusieurs ouvrages, dont notamment"péri ophtalmon": une anatomie et des traités sur les yeux et sur le pouls, dont il ne nous est rien resté (brulé dans l'incendie de la bibliothèque) ; mais ce qu'on en sait suffit à montrer son esprit d'observation et sa liberté à l'égard des idées reçues même si elles venaient d'Hippocrate. C'est Hérophile, nous dira plus tard Celse, qui découvre et nomme la troisième membrane de l'oeil : l'arachnoïde.
A la disposition d'Hérophile furent mis de nombreux cadavres humains alors que ses prédécesseurs avaient dû se contenter d'autopsier des animaux. Cet usage qui parût sacrilège à ses contemporains, donna même lieu à une tradition dont il est permis de discuter la véracité. On l'accusa, en effet, d'avoir fait des vivisections sur des condamnés. Tertullien le condamnera dans ce passage :
Galien prendra sa défense en déclarant que cela permettait de connaître véritablement la nature et non d'avoir à raisonner par analogie. Galien dira aussi :
Celse le justifiera aussi
Hérophile s'intéressa surtout à la neurologie ; il découvrit : l'existence, l'origine cérébrospinale, les fonctions sensitives et motrices des nerfs periphériques, les ventricules cérébraux, les plexus choroides et la circulation cérébrale.
L'autre disciple d'Hippocrate, ERASISTRATE, naquit à Julis dans Pile de Céos, parmi les Cyclades. Il eut les mêmes maîtres qu'Hérophile son rival, mais en plus Théophraste. Il fut un médecin de grande renommée, et spécialisé en Ophtalmologie.
Il est considéré par certains comme le fondateur de la physiologie et de la neurophysiologie. Mais aucune de ses oeuvres (onze ouvrages) ne sont arrivées jusqu'à nous. Nous n'en connaissons que de rares et courts fragments cités surtout par Galien.
Il connut à la fin de sa vie, la déception de ne pouvoir se guérir d'un ulcère du pied et s'empoisonna avec le suc de la ciguë.
Hérophile et Erasistrate furent les deux plus illustres médecins de cette époque. C'est l'école alexandrine qui découvre pour la première fois la présence du cristallin et son rôle dans la vision ; toutefois on pensait qu'il émettait des rayons vers l'objet regardé.
Du point de vue pathologique, comme dans les civilisations précédentes, il s'agit essentiellement de la description et du traitement des affections oculaires externes, conjonctivites et kératites, déformations palpébrales : entropion, ectropion et néoformations palpébrales : chalazions, orgelets et ulcérations épithéliomateuses. De même, les textes grecs alexandrins décrivent le larmoiement et les abcès dûs aux dacryocystites. La thérapeutique des affections oculaires reste encore celle léguée par les papyrus médicaux de l'Ancienne Egypte.
La période Alexandrine ne dura qu'une ou deux générations.
Faute de protection royale, on ne disséqua plus de corps humain, après la mort des deux chefs de l'école anatomique d'Alexandrie. Alors la médecine gréco-alexandrine émigra, à son tour, et se transporta en terre romaine , plus précisément à ROME.
Cette période gréco-romaine est ainsi appelée en raison de son siège hors de la grèce et de ses caractères spéciaux tenant au mélange des deux civilisations, grecque et latine.
Avant l'arrivée à Rome des Médecins grecs, et cela pendant près de six siècles, la médecine romaine fut pratiquement inexistante. Le traité "De Re Rustica" de Caton nous donne une idée de cette thérapeutique rudimentaire que le chef de famille, à qui incombait ce rôle, appliquait aux siens et à ses esclaves. Le fond en était fourni par des recettes magiques. En voici deux applicables aux maladies des yeux.
ler exemple
Pour faire sortir la poussière entrée dans l'oeil
2ème exemple
Contre la chassie des yeux
Cette situation médicale se transforma à la suite des rapports qui s'établirent entre les Romains victorieux et les Grecs vaincus, au IIIè siècle av. JC.
Ce fut le peuple vaincu qui transmit sa civilisation raffinée au peuple vainqueur. C'est vers le IIème siècle av. JC. que se produisit l'envahissement de Rome par la Médecine Grecque, et l'art de guérir fut exclusivement pratiqué par les grecs. La spécialisation était courante, notamment la gynécologie et l'ophtalmologie, très lucratives. Le triomphe de ces médecins, suscita de violentes jalousies, dont l'écho le plus célèbre nous vient de MARTIAL dans cet épigramme
Trois noms vont dominer cette période en ce qui concerne l'Ophtalmologie, et restent à jamais illustres : CELSE, RUFUS et surtout GALIEN.
1) CELSE
Né vers 50 ans av. JC., CELSE fut un polygraphe et non un médecin de profession.
Partisan de l'école empirique il était très ouvert aux autres doctrines - Il écrivit dans la première décennie de 1'ère chrétienne une ample introduction à la médecine, destinée à faire connaitre au public de Rome l'histoire et les préceptes de l'art médical.
Le texte écrit en latin, est signé du nom du praticien Aulus Cornélius Celsus. Son célèbre "De Re Medica" faisait partie d'une encyclopédie dont les autres volumes, aujourd'hui disparus, traitaient de sujets entièrement différents agriculture, militaire, rhétorique, philosophie et droit.
Cet ouvrage est considéré actuellement comme la meilleure oeuvre de médecine, léguée par l'Antiquité classique, après celle d'Hippocrate et l'oeuvre de Galien. Ce traité de la médecine comprend huit livres, dont le 6è et 7è traitent de la pathologie et surtout de la chirurgie oculaire ; en particulier la description pour la première fois (?) de l'opération de la cataracte par abaissement.
Les symptomes des maladies, les moyens de guérison tant diététiques que pharmaceutiques ou chirurgicàux; y sont décrits avec une grande précision.
CELSE ne créa pas d'école et n'est mentionné que par QUINTILIEN et PLINE l'Ancien qui lui dénient la qualité de médecin. Son nom serait demeuré enseveli dans l'oubli si le pape NICOLAS V (1397-1455) n'avait découvert, enfoui on ne sait dans quelle bibliothèque, un manuscrit du De Re Medica.
Cet ouvrage décrit ce qu'était la médecine pratiquée de son temps par un clinicien sérieux, consciencieux et expérimenté. De part la pureté de son style, CELSE fut appelé le "Ciceron de la Médecine".
2) RUFUS
Né à la fin du Ier siècle de l'ère chrétienne à Ephèse il passa plusieurs années à Alexandrie, où il s'imprégna de 1 'esprit Aristotélien et de la tradition d'Hérophile et d'Erasistrate ; puis il alla s'installer à ROME, où il pratiqua son art pendant le règne de Trajan, au début du IIè siècle.
Il écrivit une quarantaine d'ouvrages, qui ne furent connus que des arabes pendant le Moyen-Age et dont une douzaine ont été partiellement conservés, notamment les traités :
Bien que la dissection, en dehors d'Alexandrie, se pratiquait d'ordinaire sur des singes au lieu des cadavres humains, RUFUS a laissé quelques descriptions remarquables en particulier celle de l'oeil et de la fonction du cristallin qui reste inégalée et d' ailleurs méconnue jusqu'au XVII siècle.
En outre, il a su distinguer nettement les nerfs sensitifs et les nerfs moteurs, et décrire le chiasma des nerfs optiques.
3) GALIEN
a) L'homme et sa vie
Par l'ampleur et la qualité de son oeuvre, connue par l'influence qu'elle a exercée sur l'histoire de la médecine jusqu'au XVIIème siècle , GALIEN est avec HIPPOCRATE le médecin le plus considérable de l'Antiquité.
Claude GALIEN est né en 129 ap. J.C. à Pergame, en Mysie, une des plus belles et des plus riches villes de l'Orient romain, près de la Troie homérique. Au temps de GALIEN, l'asclépeion de Pergame était le plus célèbre de tous, visité par les malades, les pélerins et les voyageurs.
L'Asclépéion de Pergame
Son patronyme grec, GALIEN dérive de l'adjectif galenos, qui signifie "paisible, calme, serein".
Son père Nicos (ou Nicomes), riche sénateur du royaume, très habile dans l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et l'architecture fut son premier maître. Il lui donna de très bonne heure le gout des sciences, en l'initiant aux mathématiques, aux lettres et en lui faisant étudier les poètes et les orateurs.
Dès l'âge de 14 ans, le jeune GALIEN aborde l'étude de la philosophie et reçoit une solide formation stoicienne puis aristotélienne, épicurienne et platonicienne, qui sont les quatre écoles officielles.
A dix-sept ans, à la suite dit-il, d'un rêve inspiré par son divin protecteur Esculape - songeons à l'asclepeion tout proche - il décide de s'adonner à la médecine : dans sa ville natale il eut pour maftre un anatomiste SATYRUS, un hippocratique STRATONICUS et un empiriste AESCHRION.
Après la mort de son père à 18 ans, et désireux d'élargir ses connaissances et de se familiariser avec les doctrines les plus variées, il effectue un voyage de perfectionnement, qui dure dix ans, dans les plus célèbres centres d'études médicales.
A Smyrne, il suit l'enseignement de PELOPS et d'ALBINUS, à Corinthe celui de NUMISIANUS ; à Alexandrie, la ville "anatomique" où il séjourne une année entière, il s'inscrit parmi les élèves d'HERACLIEN et de JULIANUS. Lorsque GALIEN vint étudier en Egypte, l'école Alexandrine jouissait encore d'un grand prestige, mais on ne disséquait plus de corps humain depuis près de trois siècles. La seule dissection que l'on y faisait était celle des animaux vivants ou morts.
Quand il quitte l'Egypte, à 29 ans, il est,muni d'un bagage médical unique pour l'époque. Sa désignation officielle à Pergame comme médecin des gladiateurs lui vaut de se perfectionner en chirurgie - expérience unique à un moment où la dissection du corps humain est interdite - mais aussi en diététique et en physiothérapie.
Puis il est attiré vers ROME, dans cette ville où la médecine est libre, l'exerce qui veut, sans diplomes, sans formation et il ne tarde pas à occuper la première place. L'enseignement occupe une grande partie de son activité : il l'illustre par des démonstrations anatomo-physiologiques spectaculaires qui attirent une foule de curieux.
En l'an 166, au moment où éclate une des plus grandes épidémies de l'Antiquité, baptisée "peste Antonine" - épidémie de peste ou de typhus qui va sévir sous Antonin, GALIEN fuit ou quitte Rome. Il voyage dans toute la partie orientale de l'empire cosmopolite : Syrie, Palestine, Phénicie et Chypre, pendant trois ans, en ramenant de nouveaux remèdes.
Puis il est rappelé à Rome par MARC-AURELE pour soigner son fils COMMODE et il y restera le reste de sa carrière à soigner les grands : MARC-AURELE, PERTINAX, SEPTIME SEVERE pour ne citer que les souverains, et à rédiger son oeuvre colossale.
Ses qualités éclatantes patissent toutefois d'un orgueil démesuré
"Personne n'a donné, avant moi, la vraie méthode de traiter les maladies" déclare-t-il dans la Méthode de soigner.
Unanimement reconnu et vénéré comme le plus grand médecin de son temps, il acheva sa vie vers l'âge de soixante dix ans dans sa ville natale.
b) Son oeuvre : Ampleur et diversité.
La dernière édition complète grec-latin de ses oeuvres par C.G. KUHN (1821-1833) ne comprend pas moins de vingt-deux volumes et vingt milles pages. Nous pouvons admettre que GALIEN a rédigé six cents traités grands ou petits. Certains ne nous sont parvenus qu'en traductions : syriaques, perses, hébraïques, arabes et latines. Peut-être des écrits actuellement tenus pour perdus se retrouveront-ils un jour ou l'autre. On sait qu'un nombre incalculable de manuscrits arabes dorment dans les mosquées de l'Orient.
Là où les écrits de GALIEN sont sans rivaux, c'est dans leur diversité ; ils ressemblent à une encyclopédie des sciences et de la philosophie antique. GALIEN reconnait la situation d'un coup d'oeil : en tant que médecin, penseur et interlocuteur.
Son oeuvre va de l'anatomie au monothéisme. De fait, ce païen grec qui croit aux guérisons miraculeuses d'Esculape s'interesse à Moise dont il compare le Dieu au démiurge de la philosophie grecque.
A GALIEN revient un incontestable et prodigieux mérite, celui d'avoir fondé la physiologie expérimentale timidement entrevue par les Alexandrins, en s'aidant sur la dissection animale, transposée à l'homme. Il observe que le siège effectif d'un processus pathologique n'est pas toujours celui où il se manifeste cliniquement.
Au cours de sa synthèse:Hippocrate
"Hippocrate n'est pas une autorité pour moi comme pour la plupart ; je le suis parce que ses démonstrations sont sûres et je l'en loue".
"Hippocrate nous a montré le chemin, dit-il, tout le reste c'est à nous à le faire".
La contribution de GALIEN à la neurophysiologie constitue un des principaux titres de gloire. Il distingue le rôle du cerveau, du cervelet et du mésencephale.
Il précise la structure et le fonctionnement des organes des sens, de l'oeil en particulier. Il écrit une anatomie de l'oeil (Utilité des parties du corps : Des yeux et de leurs annexes) et un traité "Diagnostic des maladies des yeux".
Ces ouvrages furent traduits en arabe au IXè siècle. Le livre publié en 1512 sous le titre de "De Oculis Galeni a Demetrio Translatus" est la traduction d'un manuscrit arabe de ces deux ouvrages de GALIEN enrichis de nombreuses interpolations.
En Egypte, où les affections oculaires ont toujours constitué un fléau national, il n'est pas surprenant que les connaissances en Ophtalmologie aient été relativement avancées, et que l'action désinfectante des collyres ait été déjà découverte.
On s'aperçoit que cliniquement et au point de vue thérapeutique les Grecs ont acquis une grande partie de leur science médicale par l'intermédiaire de l'école d'Alexandrie.
Aux deux pôles de son histoire, la médecine gréco-latine a eu le privilège de donner naissance à deux médecins de génie, qui dominent leurs époques respectives, et se rejoignent par-dessus les siècles : HIPPOCRATE et GALIEN. Le Maître de Cos avait élaboré la graine, le Maître de Pergame en fît murir le fruit.
On ne peut qu'être frappé par le haut et surprenant degré des connaissances déjà atteint à cette époque, et en particulier des techniques chirurgicales ; de nombreux siècles s'en sont contentés. En effet, combien d'opérations modernes ne sont que la mise au point des procédés antiques ?
Il faut enfin remarquer que depuis les époques les plus anciennes on s'est servi des mêmes médications qui ont été très rapidement découvertes et appliquées aux affections oculaires, sans grandes variations pendant des siècles jusqu'aux temps modernes.