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Léonard convient comme certains avant lui que la lumière se comporte dans l'oeil comme dans le verre et suit les "leges communis". Mais, d'après ces "lois communes" géométriques et physiques, l'image d'un objet se trouve projetée à l'envers sur la rétine donc le monde doit être vu à l'envers.
Léonard refuse l'idée de l'image renversée, tout en voulant respecter la rectitude de l'image et l'absolutisme des lois physiques. Il aboutit donc à deux entre-croisements successifs, le premier au niveau de la pupille renversant l'image et le second au niveau du cristallin redressant l'image.
En commençant l'étude de l'oeil comme système optique, Léonard se met sur la voie qui lui permit avant les autres de considérer l'oeil comme une chambre noire.
Alhazen parle certainement le premier de la "camera obscura" au VI ème siècle suivi de R.Bacon (1214 - 1294) et de Léon l'Hébreux (1228 - 1344 Levi ben Gerson).
Aristote lui même (Problèmes, livre XV) y a fait une vague allusion.
Pourtant cette invention fut longtemps attribuée à della Porta (1558).
Mais Léonard est le premier à assimiler la chambre noire à l'oeil et à procéder à des études poussées, allant jusqu'à faire varier la taille et la forme de l'ouverture et la distance de l'écran.
"L'expérience qui fait voir les objets doit les faire voir avec leurs apparences, imprimées dans l'humeur albugineuse. Il est démontré que lorsqu'ils pénétreront par une petite ouverture, leurs contenus éclairés entreront dans la chambre noire. Alors ces objets s'imprimeront sur un papier blanc placé à l'intérieur de cette chambre noire tout près de l'ouverture. On verra pour le coup les objets reproduits sur ce papier avec leurs contours et leurs couleurs. Mais ils seront plus petits et renversés à cause de l'intersection. Si ces images proviennent d'un endroit éclairé par le soleil, ils auront l'air d'être peints sur le papier, lequel doit être très mince et vu à l'envers.
L'ouverture en question doit être pratiquée dans une plaque de fer très mince a.b.c.d.e. et les objets doivent être éclairés par le soleil ; o.r est la face de la chambre noire où se trouve le spectacle dit en m.n.s.t. est le papier mince.
On coupe les rayons des dits objets de bas en haut parce que leurs rayons étant droits, a à droite devient à gauche en k et le e gauche devient droit en f. Ainsi en advient-il à l'intérieur de la pupille."
Ms. D folio 8 recto.
La chambre noire est parfaitement décrite ici par Léonard avec sa paroi opaque percée d'un trou, la lumière extérieure et un écran de visualisation. Son innovation va être d'assimiler l'oeil à une chambre noire, même si ce raisonnement n'a pas été mené jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à l'obtention d'une image renversée sur la rétine.
Ce n'est qu'en 1604 que Kepler va affirmer cette hypothèse et elle sera confirmée par Scheiner qui eut l'idée d'enlever la sclérotique et la choroide à la face postérieure de l'oeil et par ce trou de regarder la marche des rayons lumineux.
Léonard n'a pas saisi le rôle du cristallin pour l'ajustement dioptrique de l'oeil. C'est pour cela qu'il lui a donné pour fonction celle de redresser les images renversées par le système cornée-pupille. Il s'en explique dans plusieurs passages :
"La sphère vitréenne est placée au milieu de l'oeil pour redresser les images qui se coupent dans le spiracle de la pupille, afin que la droite redevienne droite et que la gauche redevienne gauche dans la deuxième intersection qui se fait au milieu de cette sphère vitréenne."
Codex D folio 3 verso.
"La pupille de l'oeil qui, par une petite ouverture, reçoit les images des corps placés devant cette ouverture les reçoit toujours à l'envers et toujours la faculté visuelle les voit droits comme ils sont. Et il arrive de la sorte que les dites images se redressent selon l'objet qui en est la cause et de là, elles sont prises par l'organe enregistreur et renvoyées au sens commun où elles sont piégées"
Ms. D folio 2 verso.
Pour Léonard, il y a double croisement des rayons principaux : un premier au centre de la pupille ce qui est vrai et un second au centre du cristallin ce qui est faux.
Il donne de ces doubles intersections une dizaine de schémas et il propose trois hypothèses possibles du lieu de ces intersections : chambre antérieur-cristallin, cristallin chambre postérieure, chambre antérieure chambre postérieure et retient surtout la première.
Au départ, son erreur est due au fait qu'il prend des rayons convergents pour pénétrer dans l'oeil et les fait s'y croiser dans le trou pupillaire sans faire intervenir la réfraction cornéenne.
Pourtant il ne doit pas ignorer qu'un objet envoie à l'oeil des rayons divergents, il n'utilise ce fait que lorsque l'oeil est derrière le trou de la chambre noire.
De même il ne parle que des rayons principaux coupant l'axe optique au centre de l'iris, sans leur associer les rayons d'ouvertures, qui passent dans les zones périphériques de l'iris pour se réunir à l'image, alors qu'il les décrit dans les miroirs.
Une question l'embarrasse : celle de la perception d'une image droite par l'oeil mis à la place de l'écran alors qu'il devrait la recevoir renversée. Pour y répondre en toute logique, ignorant comme les gens de son époque les mécanismes physiologiques, il propose, dans son souci de rester conforme à la réalité, la solution qui fait du cristallin un véritable relais de réinversion de l'image après que le passage par la pupille l'ait inversée une première fois.
"Soit la pupille a/n de l'oeil k/h et le point orifice p fait dans le. papier avec la pointe d'un stylet et l'objet placé au delà de l'orifice M/b. Je dis que la partie supérieure de cet objet ne peut venir à la partie postérieure de la pupille de l'oeil par la ligne droite m-a parce qu'empêchée en v le passage de l'interposition du papier. Mais cette extrême supérieur m passe directement par l'ouverture dans la partie inférieure n de la pupille, c'est à dire dans la sphère cristalline et de là passe au sens commun comme il a été dit. Ci dessous on démontre l'expérience grâce à laquelle est née la certitude de cette nouvelle intersection g.d soit l'oeil dont la pupille a/p voit par l'ouverture q (faite dans le papier R/S) l'objet t/e. Je dis que si vous faites mouvoir le stylet L/q de haut en bas de la pupille, près de cette pupille par la ligne k/h qui mettra hors de cette ouverture q de façon que ce mouvement de stylet soit contraire à son vrai mouvement. La raison en est qu'en touchant le stylet, la ligne a/c est en contact avec la plus haute ligne qu'il y ait dans l'ouverture q et avec la plus basse qu'il y ait hors de cette ouverture et ainsi en suivant la descente dans l'ouverture devant la pupille avec votre stylet vous suivrez le contraire hors de l'ouverture."
Ms. D folio 2 verso.
De nombreuses pages du Ms. K sont également consacrées à ce phénomène.
La description de Léonard est parfaite : si le sujet met son oeil derrière un trou percé dans une feuille de papier et s'il abaisse une aiguille placée entre l'oeil et le trou, il aperçoit l'ombre de l'épingle se déplacer en sens inverse en arrière du trou.
Il eut l'excellente idée de fabriquer un oeil artificiel en verre et métal qu'il décrit dans le Codex D folio 3 verso :
"On fera une boule en verre d'un diamètre de cinq-huitième de brasse. Puis on la coupera d'un côté de manière à pouvoir y mettre le visage jusqu'aux oreilles. Ensuite on mettra au fond un fond de boîte d'un tiers de brasse ayant au milieu un trou quatre fois plus grand que la pupille de l'oeil.
En outre, on établira une boule de verre mince de diamètre d'un sixième de brasse. Ceci fait qu'on remplisse le tout d'eau tiède et limpide. Mettez le visage dans cette eau et regardez dans la boule. Notez bien et vous verrez, cet instrument enverra les espèces du S/T à l'oeil comme l'oeil les transmet à la vertu visuelle."
Dans la partie supérieure du feuillet Léonard dessine schématiquement son oeil et dans la partie inférieure il décrit le cheminement des rayons :
"Il est mis ici, que la vertu est à l'extrémité des nerfs optiques, dont h/n en est un. Ainsi donc, nous dirons que la vertu visuelle m ne peut voir a objet gauche de ce côté gauche, s'il n'advient que le rayon de l'espèce de cet objet passe au centre des deux sphères de l'humeur vitreuse x/y/t/v et ainsi le rayon sera a/e/r/v/z/x. Donc une faculté visuelle verra a, objet à gauche lui être présenté en x faible et ainsi l'instrument de l'oeil ne peut rendre cet objet gauche au même endroit si ce n'est pas deux intersections qui passent par l'axe de l'oeil, comme on l'a démontré."
Sur le croquis qui accompagne ce texte, on ne voit qu'un seul entre croisement dans la boule de verre cristallin. Le défaut dans ce modèle d'oeil, c'est que la boule intérieure, en verre mince et creuse, reste vide quand tout le reste se remplit d'eau. Donc l'ensemble de ce modèle d'oeil constitue un système optique divergent. Ainsi l'image reste droite.
Pourtant Léonard sait que le cristallin est plus dense que les autres milieux réfringents de l'oeil.11 aurait donc mieux valu que cette boule soit pleine et donc que l'on ait à faire à un système optique convergent avec une image inversée.
Sur le modèle expérimental, il se produit une double intersection des rayons principaux, la première au centre de la pupille comme dans l'oeil et la seconde au centre de la boule creuse interne, ce qui n'est pas le cas pour l'oeil. C'est comme si l'on avait affaire à deux lentilles négatives. Léonard a donc bien observé ce phénomène mais en a tiré des conclusions fausses. Cependant et contrairement à ce qui a pu être. affirmé, il serait audacieux d'y trouver de façon prématurée le principe de l'optique de contact.
Toutes les erreurs de ces schémas viennent de celle fondamentale, de vouloir une image droite sur la rétine. Mais une petite phrase du Ms.D nous étonne :
"Ici l'adversaire dit que la seconde intersection est celle du nerf optique."
Le fait de faire redresser l'image par le nerf optique est absurde, mais c'est déjà l'acceptation d'une image oculaire renversée, redressée par le cortex cérébral.
Léonard s'aperçoit que l'oeil peut avoir des troubles de la réfraction.
Il parle de la presbytie et de son traitement mais pas de la myopie. Il explique dans le Codex Atlantico folio 244 recto a :
"Essayez pour voir comment les lunettes aident la vue. Les lunettes seront a/b et les yeux cVd et ceux-ci ayant vieilli, il faut que l'objet qu'ils avaient coutume de voir en e avec une grande facilité et un fort repli de leur axe de la rectitude des nerfs optiques, ce qui à cause de la vieillesse fait que cette puissance est affaiblie a tel point que l'on ne peut les tordre sans que l'oeil en souffre beaucoup de sorte que, par nécessité, on est obligé d'éloigner l'objet de e à b. Là on le voit mieux mais pas en détail. Maintenant en interposant les lunettes, l'objet est reconnu à la même distance qu'au temps de la jeunesse soit en e ... "
Puis il décrit les lunettes de presbytes. La presbytie, il l'attribue à un manque de fraîcheur élastique et de souplesse des nerfs et des muscles, devenus paresseux chez des personnes âgées. Mais ces muscles et nerfs atteints sont ceux du cristallin et non ceux de la motilité oculaire comme il le pense.
De son temps, les lunettes sont graduées non en dioptries mais d'après la moyenne d'âge de la personne qui doit s'en servir (Codex Atlantico folio 12 verso) "Lunette de cinquante ans" Codex Atlantico folio 83 verso "lunette de 60 ans". L'appareillage se fait donc en fonction de l'âge et non de la puissance dioptrique.