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Anatomie de l'appareil oculaire |
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"Quelle confiance faire aux anciens qui ont méconnu tant de choses connaissables par l'expérience! L'oeil qui offre la preuve si évidente de ses fonctions, a été défini par d'innombrables écrivains d'une certaine façon. Mais l'expérience me montre qu'il fonctionne de façon différente."
Codex Atlantico folio 361 verso.
La contribution que Léonard veut apporter à l'étude de l'oeil est ambitieuse; malheureusement le temps et le manque de moyens de mesure ne lui permirent pas d'arriver à ses fins.
Comme ses prédécesseurs Léonard a "géométrisé" l'Oeil et les voies visuelles afin d'aboutir à un oeil schématique. Pour mieux comprendre l'oeil il a l'idée géniale d'en faire une coupe en le fixant dans du blanc d'oeuf, afin de ne rien déplacer, ou déformer ou déchirer et de ne pas perdre le vitré. Il nous dit dans le Ms K folio 39 comment il s'y prend :
"Dans l'anatomie de l'oeil pour bien voir à l'intérieur sans reperdre son humeur on doit mettre l'oeil entier dans un blanc d'oeuf et le faire bouillir. Lorsqu'il est devenu ferme, il faut couper l'oeuf et l'oeil de part en part de façon à ce que la moitié inférieure ne se renverse pas."
Ceci est la première méthode histologique décrite pour l'étude de l'oeil. De même, il fait des moulages en cire des ventricules cérébraux réalisant ainsi la première ventriculographie de l'histoire et les dessins s'y rapportant seront la première visualisation des ventricules cérébraux.Ce qui dénote une grande connaissance anatomique et une soif d'approfondir chaque sujet jusque dans ses moindres détails.
L'oeil qu'il imagine est un système de sphères concentriques, avec le globe et le cristallin ayant le même centre.
Le cristallin est donc en position centrale. Autour du cristallin, en arrière se situe la sphère vitréenne et en avant la sphère donnant la courbure de la cornée.
Le cristallin ou glacialis est sphérique et central comme chez Galien et les auteurs arabes. Ce ne sera que cinquante ans après Léonard avec Maurolycus que l'on approchera sa forme définitive. Le cristallin est donc au milieu de la sphère albugineuse ou vitré et en arrière de l'iris. Cette erreur vient certainement du fait que le cristallin ayant sur le vivant un aspect lenticulaire prend une forme sphéroidale lorsqu'il est détaché de l'oeil.
C'est pour Léonard un organe convergent dans lequel il situe une intersection optique permettant de redresser l'image inversée par la cornée, afin de pouvoir la projeter à l'endroit sur la rétine.
La cornée ou luce, partie antérieure transparente de l'oeil, est considérée par Léonard comme une lentille convergente. Sur ses dessins la sphère cristalline et la portée imaginaire de la sphère cristalline se coupent en faisant une construction lenticulaire, ne présentant aucun intérêt. Léonard remarque que, du fait de la courbure de la cornée, le champ visuel se trouve agrandi. Ce champ visuel qu'il figure de nombreuses fois sur ses dessins, présente un réel intérêt. A tel point qu'il fait construire un modèle en verre de la cornée afin de vérifier toutes ses hypothèses. Il constate qu'au bord de la cornée, seul le mouvement est réellement perçu. D'après ses constructions les deux foyers de la réfraction cornéenne et cristalliniene se croisent dans le cristallin.
Quant à l'uvée, il n'en dit pas grand chose, si ce n'est que ses pigments servent de colorants et que l'iris est doué de mouvements photomoteurs qui seront décrits plus loin. Dans tous ses dessins l'iris ne touche jamais le cristallin comme sur le sujet vivant, mais en est distant séparant la chambre antérieure de la chambre postérieure.
La sclère, qu'il décrit blanche et résistante, a un rayon de courbure différent de celui de la cornée et forme une coque, renfermant les humeurs oculaires, laissant sortir en arrière le nerf optique. L'intérieur de la sclère est tapissé de la choroïde, qu'il dessine sur la planche Q. V folio 6 verso : il est rempli de l'humeur albugineuse ou vitrée qui entoure le cristal. Elle est moins dense que lui et se continue en avant par l'humeur antérieure.
La rétine: Un des mérites de Léonard, est d'avoir nettement reconnu la rétine comme un organe spécifique de la sensation lumineuse, alors qu'Alhazen situait cette zone sensitive juste en arrière du cristallin.
"Il est nécessaire que l'impression soit dans l'oeil. Le nerf qui part de l'oeil et va au cerveau est semblable aux cordes perforées qui, au moyen d'infinis petits rameaux, tissent la peau et par les pores se portent au sens commun."
Codex Arundel folio 172 recto.
Léonard a-t-il entrevu que la rétine est formée par d'infinis ramifications ?
Il ne faut pas trop spéculer, mais il apporte des idées réellement nouvelles sur la perception lumineuse. Il décrit la rétine comme une surface concave blanc rougeâtre. Il a bien senti que la zone de vision précise est très réduite mais il la situe malheureusement au niveau de l'émergence du nerf optique.
Le nerf optique.
Léonard parle longuement du nerf optique (Q. V folio 6 verso) qui, pour lui, n'est pas un tube, comme le pensait Galien. Il est plein, rectiligne, toujours dans l'axe de l'oeil, branché sur les méninges à tel point qu'elles s'invaginent pour tapisser le globe oculaire après avoir entouré le nerf optique dans son parcours intra orbitaire. Il se termine d'une part dans le globe oculaire en arrière du cristallin et d'autre part, après avoir traversé le chiasma optique, dans le ventricule cérébral antérieur.
Le chiasma optique dont Léonard est le premier à faire une représentation anatomique fidèle, (Q. V folio 8 recto et An. B folio 35 recto) est représenté de nombreuses fois tout au long de ses carnets. Pour lui, son utilité est triple : il sert d'une part à la synergie motrice des yeux, idée qui restera longtemps en vigueur, d'autre part il redresse l'image inversée dans la chambre noire de l'oeil. Léonard qui se pose souvent la question du retournement de l'image inversée par la traversée de la cornée, pense tout d'abord que c'est le cristallin qui en est responsable puis il émet l'hypothèse que cette image est renversée après stimulation soit au niveau du nerf optique, soit du chiasma, soit du cerveau.
Enfin le chiasma sert à unir l'image donnée par chacun des deux yeux afin d'éviter la diplopie. Il faut remarquer que la modernité des théories de Léonard sur la fonction visuelle et sur la fusion contraste énormément avec les théories en vigueur au XVème siècle. Après le chiasma, chacun des deux nerfs optiques se continue par des bandelettes optiques qui se branchent dans le ventricule antérieur. Il ne fait donc pas se terminer les bandelettes optiques, au niveau des tubercules quadrijumeaux qu'il dessine cependant sur la planche 7 recto Q. V.
Léonard étudie tout particulièrement l'encéphale ou cervello ou cielabro : il estime qu'il est le siège de la fonction visuelle ou "imprensa". Celle ci débute au niveau où le nerf optique touche le cristallin, et il pense que c'est une force passive qui attend la stimulation lumineuse et non, comme le craignent les auteurs anciens, une force active venue du cerveau.Il reproduit le cerveau isolé, crâne ouvert, il y fait figurer les ventricules cérébraux et les nerfs crâniens (0. V folio 8 recto).
Les ventricules cérébraux l'ont intéressé au point qu'il utilise des injections de cire liquide pour les mettre en évidence ; injections qu'il pratique, soit dans l'angle inférieur du quatrième ventricule, soit au niveau de l'orifice occipital. Cette opération lui permet de réaliser les premiers dessins des ventricules latéraux. Comme ses prédécesseurs, il situe dans le ventricule moyen le sens commun ou "sensus communis" (siège de l'âme) ainsi que l'aboutissement de tous les sens et dans le ventricule postérieur le siège de la mémoire (CA. 90 r.b et 270 v. b).
Il proclame que le cerveau est recouvert des méninges se prolongeant autour des nerfs crâniens. Comme cela était de tradition, Léonard ne décrit que la dure-mère et la pie-mère oubliant l'arachnoïde. Tous les nerfs crâniens se rejoignent, chez lui, au niveau du "sensus communis", représenté par le plancher du troisième ventricule. Son étude sur les nerfs crâniens est remarquable et apporte certaines innovations, comme la mise en évidence du nerf olfactif et du bulbe olfactif reposant sur la lame criblée de l'éthmoïde. Le nerf moteur oculaire commun et le moteur oculaire externe sont dessinés lors de leur traversée de la loge caverneuse (An. B folio 35 recto). Le trijumeau figure également avec ses trois branches, la branche ophtalmique bifurque en nerf nasal et lacrymal, la branche maxillaire inférieure émerge du crâne par le trou grand rond et du crâne par le trou sous orbitaire (An. B folio 12 verso), quant à la branche maxillaire inférieure elle est juste esquissée.
Sur le plan de l'ostéologie céphalique, ses dessins sont remarquables de beauté et de précision. Il représente de nombreuses coupes de crâne sagittales, frontales sous diverses incidences. Ces différents plans nous permettent d'étudier l'orbite. La voûte orbitaire appartient au frontal avec visualisation du sinus frontal, inconnu jusqu'alors, et de l'encoche sus orbitaire. Le plancher est composé par le maxillaire inférieur, surplombant le sinus maxillaire qui était jusqu'alors inconnu et présentant en avant l'orifice du trou sous- orbitaire.
La paroi externe montre un malaire qui n'est pas individualisé et la grande aile du sphénoïde en bonne place. Quant à la paroi externe, c'est une innovation, nous voyons les premiers dessins des voies lacrymales (An. B folio 4 verso). Débutant par la gouttière lacrymale avec ses deux crêtes, elles se prolongent par le canal lacrymo-nasal traversant le maxillaire inférieur et débouchant dans les fosses nasales.
Léonard reconnait bien le canal lacrymo-nasal comme l'endroit où s'écoule les larmes, mais pour lui, comme Galien, les larmes viennent du coeur. La paroi interne se termine en dedans par le trou optique et la fente sphénoïdale qui sont très bien représentés. La partie intracrânienne du trou optique est bordée de l'apophyse clinoïde postérieure ; il réalise un magnifique dessin du sphénoïde.
La motilité oculaire est assurée par les quatre muscles droits, présentant une insertion osseuse et une insertion oculaire dont il ne dit pas grand chose, si ce n'est que leur stimulation est assurée par le nerf optique.
En se rapprochant de la superficie, Léonard, fidèle à l'enseignement qu'il a reçu sur les écorchés, s'est attardé sur les vaisseaux de la face, notamment les veines, dont il donne la systématisation (An. B folio 1 recto) à partir des veines frontales, sus-orbitaires angulaires et temporales. Il représente également l'artère et la veine faciale (Q. V' folio 15 recto). Pour la première fois, il montre que les artères diminuent de calibre en allant vers leurs extrémités et se terminent par de tout petits vaisseaux qu'il nomme "capillaires".
Pour clore ce tour d'horizon sur l'anatomie oculaire de Léonard, il convient de parler des paupières. Il les considère surtout dans ses études sur les proportions du visage remarquant que la paupière supérieure recouvre la partie supérieure de la cornée, alors que la paupière inférieure laisse la cornée à distance. Les sillons orbito-palpébral supérieur, malaire et naso-jugal responsables de l'harmonie du visage sont très bien représentés ainsi que de petits détails comme les points lacrymaux et les replis semi-lunaires.