Le site des ophtalmologistes de France
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Partant d'Italie, la Renaissance transforma la vie des hommes du XVè siècIe et au début du XVIè.
Elle coïncida avec de grands événements historiques qui permirent une extension des limites du monde connu. Les grandes explorations maritimes et la découverte de I'Amérique ouvrirent de nouveaux horizons; la prise de Constantinople par les Turcs ramena vers l'Occident des livres et des documents témoins de civilisations anciennes endormies ou méconnues.
Mais ce renouveau des connaissances et l'humanisme qui en résulta ne détermina pas, en médecine, une mutation aussi rapide et aussi complète. L'enseignement universitaire avec ses nécessite s et ses contraintes se poursuivit souvent dans la routine. Les affirmations des oeuvres de Galien resteront longtemps indiscutables et indiscutées.
Un fait majeur apparaît cependant. La valeur de plus en plus reconnue de l'observation amène à une libre discussion et à une analyse plus rigoureuse du phénomene scientifique. On assiste alors a un début d'esprit critique.
La dissection, dont les universités de Bologne et de Padoue permettaient l'exercice, va servir de point de départ à des recherches anatomiques nouvelles. Cela conduira à Vesale, dont le "De Fabrica"va devenir l'oeuvre de réference pour toutes les recherches anatomiques nouvelles.
La découverte, puis la rapide extension de l'imprimerie, apportera une aide essentielle pour la diffusion des idées et des faits. La libre circulation d'un pays a l'autre, l'incroyable propension aux voyages maIgre les difficultes et les dangers, réunirent vite chercheurs et étudiants dans les grands centres médicaux universitaires.
Paris ne jouit pas encore, du point de vue médical, de sa prévalence de Capitale. Montpellier, centre fameux depuis le XIIè siècle, poursuit son rôle attractif pendant toute la Renaissance. Le libéralisme de ses édiles et de ses maîtres, maintient son influence a l'époque de la Réforme. Le latin, langue véhiculaire, entretient ce monde intellectuel dans une atmosphere scientifique, amicale.
Surtout pour les grands maitres, au début de ce XVIè siècle, non encore marqué par les conflits religieux, le voyage en Italie constitue plus qu'un pélerinage aux sources.
La vie colorée, ensoleillee et aussi quelque peu déréglée du Sud de l'Europe, va cependant provoquer des réactions violentes des chrétiens qui, dans le Nord, ont soif de plus de rigueur et de recherche de vérité. La Réforme va transformer la Renaissance scientifique et lui apporter des dimensions et une qualité nouvelles.
Les guerres de Religion ou d'indépendance nationale vont marquer à travers le XVIè et le XVIIè siècle la vie des peuples et interviendront dans les transformations de la vie scientifique.
Et cependant, cette époque correspond à une véritable révolution dans la connaissance de l'homme et du monde. En ce début du XVIè siede, Léonard de Vinci, en butte aux tracasseries des médiocres et des jaloux, accepte l'invitation de François 1er et vient terminer sa vie en France auprès du Roi, apportant avec lui toutes ses oeuvres personnelles. Mais malheureusement, la somme de ses travaux anatomiques et de ses conceptions sur l'oeil et l'optique va longtemps rester méconnue.
Des ce temps, Copernic a conçu sa théorie sur tout le système astronomique. L'année où paraîtra enfin l'exposé de son oeuvre (1543) verra aussi publiée la Bible anatomique de la Renaissance: le célébre "De Fabrica", de Vesale.
Comment ne pas être impressionné par la conjoncture des dates? L'année ou meurt Vesale voit naître Galilée, et quand disparaît celui-ci, naît en Angleterre Newton.
Ces quelques noms seront pour le XVIè et le XVIIè siècles scientifiques, des phares illuminant la progression de la pensée.
Il faut, sur le plan medical, au début du XVIè siècle, reconnaître que les connaissances ophtalmologiques ont peu progressé. L'enseignement officiel professe toujours une anatomie oculaire inexacte. Le cristallin, au centre de l'oeil, reste le centre de toutes les émanations visuelles, et son rôle dans un système d'optique géométrique est totalement méconnu de la plupart maIgré plusieurs travaux arabes anciens. Léonard de Vinci cependant, imprègne à la fois de science mathématique et de souci esthétique, par l'observation et la dissection, est peut-être le premier à revenir à la réalité anthropologique et a un essai d'optique physiologique.
Il entreprend la dissection de l'oeil fixe dans du blanc d'oeuf coagulé par la chaleur et coupe en lames minces. Cela n'empêche pas d'éviter l'erreur de maI situer le cristallin, mais c'est le point de départ d'une schématisation des rayons se concentrant non pas sur la lentille, mais sur le pôle postérieur. Par le nerf optique, vers le haut, source cérébrale de l'Esprit, la lumière optique, "lumen'; deviendra la science de la connaissance, la "lux".
Ces considérations générales restées malheureusement inconnues pendant longtemps, ne correspondent en rien aux conceptions de I'époque en ce qui concerne l'optique et l'ophtalmologie.
La lunetterie restera l'oeuvre des empiriques et des charlatans. Elle n'apparaîtra pas dans l'étude systématique des fonctions visuelles, elle sera souvent incluse dans le cadre de phénomènes magiques plus ou moins répréhensibles car inexpliqués.
Si on veut résumer l'apport de l'ophtalmologie française de cette époque aux progrès scientifiques, il faut le résumer aux découvertes de quelques hommes. Peut-être le plus grand et le plus méconnu fut-il Pierre Franco. Pierre Franco, le Provençal, naquit à Turriers vers 1504, dans le département actuel des Alpes Maritimes. On ignore pratiquement tout de sa famille, de ses maîtres ou des écoles qui le formèrent on sait seulement qu'il était protestant et fut obligé de quitter la France à deux reprises pour éviter la persécution. Il trouvera en terre vaudoise, à Lausanne, le calme et la sérénité.
Mais c'est à Lyon et, en français, que paraissent deux petits livres qu'il écrivit en 1556 et 1561. Jusqu'à sa mort, 17 ans plus tard, il ne fit paraître aucune autre publication.
Le traite des hernies parut en 1561 il est suffisant pour assurer sa gloire.
Dans une étude remarquable que Koelbing lui a consacrée, le professeur d'Histoire de la Médecine de l'Université de Zurich met bien en valeur le caractère exceptionnel de sa contribution à l'ophtalmologie. La Suisse fut à cette époque une terre privilegiée pour la médecine, à la réunion des différentes cultures européennes. Elle conserve la langue française à Genève et à Lausanne mais se trouve à l'abri des désordres et des massacres qui ensanglantent la France. Les hommes comme Franco peuvent travailler et se perfectionner.
Certes, il pratique la chirurgie générale avec tout ce que cela comporte de dificultés et de souffrances. Mais dans son oeuvre, l'ophtalmologie est pour lui son travail de predilection et, en particulier, il considère l'opération de la cataracte comme la plus bénéfique de toutes. "Si j'étais place devant le choix de renoncer soit à l'exercice de cette partie, soit tout le reste de la chirurgie que m'a donné Dieu,je préfèrerais renoncer au reste, tantje connais I'opération de la cataracte comme étant une oeuvre extraordinaire ne présentant guère de difficultés presque sans douleur et d'une grande importance".
Dans son traite, le chapitre consacre à la cataracte est émaille de conseils très précieux ; Franco se veut pédagogue afin d'inciter les chirurgiens à une bonne technique.
Si on analyse son texte avec attention, on s'aperçoit que par expérience il situe parfaitement le point de pénétration dans l'oeil de l'aiguille au niveau de la pars plana réalisant ainsi, bien avant l'heure, la zone d'entrée idéale de la vitrectomie. Cela nous vaut le récit imagé de sa vaste expérience de chirurgien confronté avec toutes les situations les plus différentes et envisageant toutes les complications possibles. Il le fait avec l'accent de la vérité, de l'honnête homme désireux, non seulement de faire le bien, mais aussi de convaincre ses confrères et de susciter des vocations.
L'invocation à Dieu du calviniste Pierre Franco, pour permettre la réussite de l'entreprise, est bien dans la tradition de l'époque. La nécessite d'une chirurgie expérimentale sur les yeux d'animaux afin d'acquérir I'ambidextrie manuelle correspond au désir du Maître qui souhaite plus d'efficacité chez les jeunes opérateurs. Il conseille aussi très rapidement l'emploi de lunettes non seulement pour protéger les yeux mais aussi pour aider a une meilleure vision.
L'oeuvre de Pierre Franco n'a pas eu le retentissement voulu car elle se résume a ce traité qui, par la suite, fut éclipsé par les nombreuses publications chirurgicales d'Ambroise Paré et de ses élèves. Faisons remarquer qu'à cette époque, un suisse célèbre, Félix Platter, ancien élève de Montpellier, sera le premier à decrire correctement la position du cristallin et a donner un schéma optique valable. Il n'osera pas cependant conseiller à ses confrères, en raison de nombreuses complications, l'intervention de l'abattement du cristallin.
Son oeuvre, écrite avec une rare qualite littéraire, fait état du traitement de nombreuses affections oculaires depuis les traumatismesjusqu'aux tumeurs. Il est le premier à bien situer le cristallin par rapport aux autres éléments du segment antérieur. Mais il n'ose imposer ses vues pourtant très en avance sur son époque. Il faudra attendre le célèbre traité de Bartisch de 1583 pour voir, décrite et illustrée, l'ophtalmologie de la Renaissance.
Jacques Guillemeau (1544-1612)
Jacques Guillemeau est né à Orléans dans une famille d'habiles chirurgiens. Venu trèsjeune à Paris, à l'Hôtel-Dieu, élève d'Ambroise Paré, il dédie a son illustre Maître le premier traité d'Ophtalmologie français : "Des maladies des yeux qui sont au nombre de cent treize".
Dans plusieurs chapitres sont envisagés successivement l'anatomie de l'oeil et, sur le plan pathologique, les affections intéressant la totalite de l'oeil.
Les affections des muscles oculaires, des paupières, les inflammations et les pustules, les ulcères du globe, les cicatrices de la cornée, les maladies de l'uvée. Bien entendu, les fistules lacrymales ne sont pas oubliées et il faut retenir aussi tout un chapitre groupant tous les cas d'amaurose par lésions rétiniennes ou par des atteintes du nerf optique.
Guillemeau a laissé un nom en médecine par son oeuvre gynécologique importante. Pour nous autres, il est le premier français a avoir réuni dans son traite un nombre important d'affections de l'oeil. Peut-être faut-il aussi remarquer que la relation de l'ophtalmologie avec la gynécologie, aussi discutable qu'elle soit, s'est poursuivie longtemps après, puisque le premier numéro des Annales d'Oculistique, paru le 1er août 1838, était intitulé: "Annales d'oculistique et de gynécologie".
En fait, le premier livre français d'ophtalmologie avait été écrit par Ambroise Paré, aidé de Cappel, docteur Régent de la Faculté de Médecine de Paris. La finalité du sens de la vue semble évidente à l'homme qui avait écrit 'je le pansai, Dieu le guérit".
"Dieu a l'homme a donne la face en haut
et lui a ordonne de regarder
l'excellence des cieux
et élever aux étoiles ses yeux".
Si le traitement des plaies de l'oeil est contenu dans le huitième livre de ses oeuvres completes, avec les différentes plaies du corps, c'est dans le quinzième livre que sont envisagees les fameuses cent treize maladies répertoriées suivant une classification méthodique par le grand chirurgien français de la Renaissance.
L'énorme pratique chirurgicale acquise au cours de la vie dangereuse de ce chirurgien de guerre, le conduisit a confronter son expérience à des notions livresques insuffisantes. Son grand traité, paru en français dans de multiples éditions, permit à son auteur d'être considéré non seulement comme le père de la chirurgie, mais aussi comme le père de l'ophtalmologie française.
La gravure célèbre qui le représente avec Vesale au chevet d'Henri Il mourant d'une plaie transorbitaire, illustre bien la notoriété que cet autodidacte, devenu le chirurgien de tous les Rois de France, avait su acquérir aupres des plus grands de son temps.
Après lui, tous les traités faisant référence à son oeuvre, aborderont non seulement l'anatomie mais aussi la pathologie oculaire. Un des plus célèbres fut le traité de Dulaurens, professeur à Montpellier et premier médecin d'Henri IV
Un peu plus tard, Castres, petite ville du Tam où siège la Chambre de l'Edit, a le privilège d'avoir dans ses murs plusieurs personnages de haute qualité. C'est d'abord le médecin Pierre Borel, membre de l'Académie des Sciences, qui fut parmi les premiers à reconnaître que la cataracte est en fait une opacité du cristallin et l'un des premiers aussi à exposer ses résultats d'examen des tissus au microscope.
C'est Jean Vigier, chirurgien à Castres, qui fait paraître un traité des Tumeurs a Lyon en 1656-1659, en y insérant un chapitre ophtalmologique. Et c'est surtout le juge Pierre de Fermat, mathématicien de génie dont nous retrouverons un peu plus tard les travaux considérables sur la réfraction.
Quelques esprits lucides reconnaissent deja au XVIIè siècle le rôle essentiel de I'opacification du cristallin dans la formation de la cataracte.
C'est Rémy Lasnier, Quarre, Rolfinck, Gassendi, sur le plan chirurgical mais c'est aussi Kepler dans sa démonstration de la dioptique oculaire, c'est Mariotte qui, des 1668, éliminera le cristallin de toute fonction visuelle et préconisera son abattement dans la cataracte.
La fin du siècle sera marquée par les travaux d'hommes remarquables comme Méry ou Maître-Jan.