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La cornée est le seul tissu transparent de l'organisme et cette qualité est due à une organisation particulière de sa structure très régulière qui laisse passer la lumière. Très tôt on s'est aperçu des complications qu'entraînaient les opacités cornéennes et on a imaginé différents traitements pour soigner ce trouble et essayer ainsi d'améliorer la vue des patients. Nous vous présentons dans un autre chapitre ce qu'est une greffe de cornée aujourd'hui. Cette chirurgie qui a fait de grands progrès permet à de nombreux patients de mener un vie normale.
Les égyptiens admiraient sans doute la transparence de la cornée et donnaient à leurs statues un regard profond.et des cornées brillantes et transparentes.
Le médecin grec Galien évoqua la possibilité d'enlever la partie superficielle de la cornée dans le but de faire disparaître l'opacité. Cette kératectomie superficielle (abrasio corneae) devait être bien difficile à réaliser en ce temps-là.
Galien, célèbre médecin grec
Guillaume Pellier de Quengsy (1751-1835) était un ophtalmologiste célèbre de Montpellier; il publia en 1789 un livre intitulé "Précis ou Cours d'Opérations sur la Chirurgie des Yeux". Il évoquait la possibilité de remplacer la cornée malade par un verre placé dans un anneau d'argent attaché à la sclère par des fils de coton. Cela préfigurait déjà les cornées artificielles que les chercheurs tentent de mettre au point actuellement. Pellier de Quengsy apprit l'ophtalmologie grâce à son père et considérait cette spécialité comme la plus difficile des chirurgies 'Sine visu, nihil'.
Erasmus Darwin (1731-1802) imagina la trépanation pour enlever la cornée opaque, ce qui se fait actuellement.
Il fallut attendre 1847 pour que Sir William Bowman (1816-1892) donnât une description anatomique valable de l'histologie cornéenne. Il laissa son nom à la membrane située entre l'épithélium et le stroma cornéen, plus profond, nommée membrane de Bowmann.
L'apparition de la lampe à fente à la fin du XIXème et début XXème autorisa l'étude de la cornée in vivo car ce biomicroscope permet une étude fine des différents plans de la cornée. Alfred Vogt (1879-1943) fut l'un des précurseurs dans l'étude de la cornée grâce à cet appareil d'examen.
Alfred Vogt |
Lampe à fente |
Il semble qu'un des premiers à avoir opéré ces cornées malades fut Johan von Autenrieth (1772-1835) qui pratiquaient des opérations expérimentales sur les animaux.
En 1824 Reisinger (1768-1855) proposa le remplacement de la cornée malade par une cornée d'animal, opération qu'il nomma "kératoplastie", terme qu'on utilise toujours pour désigner une greffe de cornée. Les échecs successifs fit douter les chirurgiens. Ses collègues n'eurent pas plus de succès.
En 1834 la thèse de Wilhelm Tohmé intitulée " De Corneae Transplantatione " décrivait une nouvelle technique d'incision cornéenne, avec un taux d'échecs toujours aussi élevé. Malgré tout l'auteur encourageait ses contemporains à persévérer dans cette voie.
L'arrrivée de l'anesthésie générale par éther en 1846 et par chloroforme en 1847 permit d'améliorer les conditions opératoires. L'anesthésie par cocaïne fut introduite par Carl Koller (1858-1944) et l'antisepsie en 1867. Tout était prêt pour que la chirurgie s'améliore.
Konigshofer publia en 1841 une monographie dans laquelle il décrivit la greffe lamellaire de la cornée imaginée par Philipp Franz von Walther (1782-1849). Il s'agit de n'enlever que la partie superficielle de la cornée et de laisser en place la partie postérieure, le stroma postérieur et la membrane de Descemet. Les résultats furent meilleurs.
Arthur Von Hippel (1841-1916) appliqua les principes de Theodor Leber (1840-1917) qui expliquait que la transparence de la cornée était due à l'intégrité de l'endothélium au contact de l'humeur aqueuse, et de la membrane de Descemet. Il ne réalisa donc que des greffes lamellaires, avec un succès assez notable.
Son invention d'un trépan circulaire automatique utilisé pour la cornée donneuse et pour la cornée réceptrice fit faire un grand pas à la technique.
Trépan pour réaliser une découpe régulière de la cornée
Henri Power (1829-1911) prit une position opposée à celle de Von Hippel et préféra pratiquer des greffes de toute l'épaisseur de la cornée, des kératoplasties transfixiantes. Cet ophtalmologiste anglais considéra que les cornées animales étaient trop différentes de celles de l'homme et il conseilla d'utiliser des cornées venant d'yeux énucléés pour différentes raisons.
Les échec étaient malgré tout fréquents.
Ernst Fuchs (1851-1955) étudia histologiquement des greffons cornéens et reconnu la supériorité des greffons humains pour l'homme. Contrairement à Von Hippel, il ne pensait pas que l'opacification du greffon venait d'une pénétration de l'humeur aqueuse. Il conclut plutôt à une invasion de cellules de l'hôte dans le greffon du donneur.
F. Salzer, entre les années 1900 et 1937, décrivit les différents types de greffes, autoplastie sur un même sujet, homoplastie entre sujets de la même espèce, hétéroplastie entre espèces. Il conseilla donc d'utiliser principalement des cornées humaines.
Le 7 décembre 1905, Eduard Konrad Zirm (1887-1944) réussit le premier une kératoplastie transfixiante chez l'homme. Un patient de 45 ans était presque aveugle à cause de taies bilatérales dues à des brûlures. L'ophtalmologiste préleva la cornée de l'oeil perdu d'un garçon de 11 ans (corps étranger intra-oculaire). Il put greffer le receveur des deux côtés en fractionnant la cornée prélevée. Cela fut fait dans les règles d'asepsie rigoureuse et sous anesthésie générale au chloroforme. Le succès fut total et le patient retrouva une bonne vision qui lui permit de mener une vie normale.
Le site web consacré au Dr Zirm présente différents documents.
Intervention du Dr Zirm
Cliché propriété de la famille Zirm
Malgré ce succès on développa principalement les kératoplasties lamellaires. Il fallut attendre les travaux d'Anton Elschnig à Prague qui réussit une kératoplastie transfixiante en 1914, en utilisant le trépan de von Hippel. Elschnig réalisa 180 greffes de cornée au cours de sa carrière et améliora nettement la vision de 22% des patients.
Par la suite Vladimir Filatov (1875-1956) réalisa beaucoup d'interventions et en comptabilisa 3500 en 1955, avec un succès dans plus de 65% des cas. Il développa différents instruments et démontra l'utilité de l'utilisation de cornées de cadavres.
Les grands noms de l'ophtalmologie mondiale dévellopèrent ensuite les greffes de cornées, que ce soit Arruga, Barraquer, Castroviejo, Franceschetti, Sourdille ou Vannas.
Les succès ont nettement progressé depuis les années 60 avec Alberth grâce à l'utilisation des corticoïdes. La kératoprothèse de Strampelli en 1963 améliora aussi le pronostic.
On a modifié la technique, on a créé des banques de cornées, on utilise mieux les médicaments, on profite des instruments de microchirurgie. Il faut noter la mise au point de la biomicroscopie spéculaire par Maurice en 1968 pour observer l'endothélium et compter les cellules endothéliales.
Nous pouvons actuellement réaliser un lasik sur des cornées greffées pour faire disparaître une myopie ou un astigmatisme résiduel. Il s'agit là de techniques assez délicates qui donnent de bons résultats quand l'indication est bien posée et que l'environnement chirurgical est de qualité.
On rejoint ainsi le chapitre sur la Greffe de Cornée.
Hirschberg T.v. Haugwitz History of ophthalmology Vol 11 (part 3-d) 1991
Albert Daniel M., Edwards Diane D The history of ophthalmology 1996