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La saga de ses notes et manuscrits |
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Léonard de Vinci préfigure la démarche scientifique moderne . Il observe puis expérimente; de là il extrapole et généralise quelquefois même de façon hasardeuse .
Ses carnets sont des fatras de notes éparses universelles et courtes, concrètes, écrites à la plume noire, d'une écriture tracée de droite à gauche en caractères inversés "alla mancina" indéchiffrables pour le néophyte sinon à l'aide d'un miroir . Ceci est plus le fait d'un gaucher, qui inverse facilement son écriture, phénomène connu de nos pédagogues, que d'un souci de mystère ou de secret ésotérique. Il utilise un papier rarement blanc, le plus souvent bleu-vert ou bistre, plus ou moins rugueux et de mauvaise qualité. Les dessins y sont tracés soit à la pointe d'argent, soit à la craie noire ou rouge, soit à la plume . Ce sont ces différents types de papiers et de graphismes qui ont permis à Clarck, de proposer une datation approximative de chaque dessin Mais ceci est rendu difficile par le fait que, sans arrêt, jusqu'à la fin de sa vie, Léonard y a corrigé des erreurs. En tant qu'autodidacte, car c'est un "uomo senza lettre" il possède mal le latin et le grec littéraire et il est le premier à le déplorer . Cela lui sera très souvent reproché par les intellectuels et les autres artistes de l'époque, comme Michel-Ange, qui ne pensent qu'à l'évincer de leur cercle étroit De ce fait, il reste seul et dialogue difficilement avec les autres savants de son époque . Il note donc son savoir en Toscan populaire sur des milliers de feuillets épars qu'il tentera de regrouper et de classer . |
Des 67 ans de son oeuvre de peintre, il ne subsiste que douze tableaux alors qu'il a griffonné des milliers de dessins Pour lui le dessin est le seul vrai moyen de communication, il crée donc un langage graphique, accompagné de quelques notes d'appoint. La nature, source d'inspiration universelle, le passionne; il suffit de scruter le fond de ses tableaux et de contempler ses merveilleuses planches de botanique pour comprendre cette admiration profonde .
A côté de cela, il se propose d'écrire un traité sur le corps humain : "J'espère terminer toute cette anatomie au cours de cet hiver de l'an 1510 . " An A 17 r , ce qui lui permettrait d'expliquer le microcosme humain Mais, il ne réalisa pas son projet .
Les différents manuscrits
Les dessins de tous ordres, s'amoncellent au fil des feuillets, agrémentés de quelques notes manuscrites, ce qui doit représenter de l'ordre de 10.000 feuillets .
Sur le plan de l'anatomie, de la physiologie et de l'optique, voici l'inventaire des feuillets de Léonard conservés dans différents musées à travers le monde. Beaucoup de ces planches, le plus grand nombre, sont rassemblées à la Bibliothèque Royale du Château de Windsor .
Elles ne concernent pratiquement que l'anatomie et on y distingue deux parties :
Les autres feuillets qui nous intéressent sont éparpillés Nous noterons que :
- Le Ms C représente l'ouvrage de Léonard le plus complet sur l'optique .
- Le Ms D dont les différents feuillets datant de 1508 - 1509 ont été classés de son vivant par Léonard lui même, concernent l'oeil et la vision .
L'ensemble de l'oeuvre anatomique de Léonard fut réalisé entre 1479 et 1513 ; il la retoucha inlassablement jusqu'à la fin de sa vie.
Léonard n'est pas, à proprement parler, un précurseur, ni dans le domaine de la recherche, ni dans celui du dessin anatomique, dont les premiers balbutiements remontent à l'antiquité. Déjà, au Moyen-Age, les médecins découvrent les rudiments de l'anatomie ; ils les enseignent dans des écoles de Médecine De même peintres et sculpteurs connaissent bien l'anatomie des écorchés Mais, le travail de Léonard va beaucoup plus loin. D'abord, après l'étude de surface nécessaire à son art, il s'attaque à l'anatomie des organes profonds .
Assimilant l'homme à une machine il cherche la fonction des organes qu'il décrit, s'acheminant ainsi vers la physiologie .
Il s'aide, évidemment, de travaux déjà existants qui n'apportent aucune réponse satisfaisante à ses préoccupations : il doit donc tout reprendre . Il contacte des anatomistes des écoles de Mantoue et de Padoue, assiste à des dissections et en pratique lui même. Travaillant sur des animaux, extrapolant, appliquant les conclusions de ses observations à l'homme, il commet ainsi quelques erreurs, erreurs que fit également Vésale par la suite .
Grâce à toutes ses observations, il aboutit à des résultats étonnants, qu'il transcrit merveilleusement sous forme de dessins . Il est le premier à pratiquer et à dessiner des coupes dans des axes différents permettant de visualiser le rapport des organes entre eux . Il insiste sur le rôle fondamental des vaisseaux et des nerfs, ignoré jusqu'alors, mais indispensable pour la physiologie. Ses constatations sont notées sous forme de dessins avec perspective, idée de relief, sous plusieurs angles, donnant ainsi une impression saisissante de réalité. Chaque schéma est en lui même un chef d'oeuvre .
Mais le dessin n'est pas encore prêt à être adopté par les anatomistes officiels qui lui préfèrent l'austérité intellectuelle des descriptions écrites. Léonard fut gêné par le problème de la terminologie des muscles, nerfs et vaisseaux, pour faire ses descriptions et ses dessins, il leur attribua donc des lettres alphabétiques. Ce handicap important ne l'a pas empêché de poursuivre son travail, de découvrir et de prouver, mais, il n'était pas dans son pouvoir de s'opposer massivement à toutes les idées héritées du Moyen Age, préservées jalousement par l'Eglise. Certaines de ses découvertes n'ont été vérifiées que plusieurs siècles plus tard .
Péripéties des Manuscrits
Après la mort de Léonard, les manuscrits deviennent la propriété de Francesco Melzi, son disciple et fidèle compagnon, dont on retrouve l'écriture, sur certains feuillets . Il est responsable du fait que ce trésor soit resté longtemps méconnu. En effet, au lieu de chercher à le publier, il se contente de le classer et de le montrer à ses proches. Nous avons la preuve que les dessins de Léonard ne furent pas tout à fait inaccessibles à ses contemporains.
Alors qu'ils sont entre les mains de Melzi, ils sont examinés et décrits par Anonimo Gaddiano, Giorgio Vasari le biographe de Léonard et par le peintre milanais Gianpoaolo Lomazzo qui en parle dans son "Idea del Tempio della pittora". Dürer, sans doute, les vit durant son voyage en Italie, car il en copia les principales figures, conservées à Windsor dans son "Dresden shetchbook"; il est même probable, mais cela reste contesté, que Vésale ait pu voir les travaux anatomiques de Léonard.
Orazio Melzi, héritier de F.Melzi, charge vers 1606 les frères Mazzenta, à qui il donne treize manuscrits, d'exposer les dessins de Léonard; cela permet à Rubens de les voir.
Le sculpteur officiel de la Cour d'Espagne Pompeo Leoni (1583 - 1608) persuade Orazio de faire don des manuscrits au roi d'Espagne afin qu'il accède aux honneurs et à la dignité de Sénateur.
Léoni récupère également dix des treize manuscrits des frères Mazenta ; les trois autres, manquants, avaient été offerts au Cardinal Borromeo (Ms C) qui, à son tour, les offrit à la Bibliothèque Ambroisienne de Milan. Le même Léoni classe les manuscrits et les numérote.
A noter que les rapporteurs de l'époque font état de cinquante documents ; on n'en compte plus, actuellement, que dix neuf, dont l'un porte le numéro 48. On peut juger de l'ampleur des pertes.
Outre les manuscrits reliés, Leoni rassemble une grande quantité de feuilles détachées représentant des dessins du maître, les classe, les découpe et les colle sur des albums.
Il disloque ainsi l'ordonnancement de bon nombre de feuillets, pour constituer le Codex Atlantico (composé de 402 feuillets et de 1700 dessins) et deux autres manuscrits. Cette opération permit de ne pas perdre les feuillets volants qui ne seraient peut-être pas arrivés jusqu'à nous.
A la mort de Léoni, en 1608, le Codex Atlantico retourne à Milan, acheté par le comte Galeazzo Arconati, qui donne douze des manuscrits du codex à la Bibliothèque Ambroisienne et le treizième manuscrit, vendu au Prince Trivulzio, devient le Codex Trivulce.
Lors des guerres du Consulat en Italie (1796), tous les manuscrits de Léonard, figurant à la Bibliothèque Ambroisienne, sont rapportés à Paris, où Venturi les classe avec leur côte alphabétique actuelle. Les Codex C et D, traitant respectivement de l'optique et de l'oeil, se retrouvent alors à l'Institut de France avec dix autres manuscrits et le Codex Atlantico à la Bibliothèque Nationale.
Le Codex D est composé de 10 feuillets de 22 centimètres sur 16, écrits recto et verso. Ceux ci ne possèdent ni titre, ni introduction mais, portent en haut de chaque page, une indication : l'oeil ou l'oeil humain ; ils représentent 60 dessins paginés par Léonard.
Après la chute de Napoléon, il faut, en 1815, rendre les manuscrits et curieusement, le seul Codex Atlantico est exigé.
Deux autres manuscrits, échouent à la Biblioteca Nacional de Madrid, formant le codex Madrid 1 et Il qui, à la suite d'une erreur de classification, ne seront retrouvés qu'en 1967 .
D'autres manuscrits sont vendus à Don Juan d'Espina vers 1591, une partie de ces dessins passe dans les mains du Comte Arundel en 1636 lors d'un voyage en Espagne ; il les ramène en Angleterre. Ces dessins terminent dans les collections royales du château de Windsor vers 1690 où ils y seront oubliés jusqu'en 1780.
C'est le bibliothécaire Dalton qui les redécouvre, ils se composaient de 779 dessins dont 179 ne sont pas arrivés jusqu'à nous.
William Hunter voulut les publier mais il mourut en 1783 avant d'avoir pu mettre son projet à exécution. La première édition d'une sélection de dessins ne vit le jour qu'en 1796 à l'initiative de John Chamberlain. Depuis, grâce aux procédés de la photogravure les éditions n'ont fait que se succéder.
Voila la saga de la plus grande partie de ces manuscrits après la mort de Léonard. Nous savons que beaucoup d'hommes d'étude virent ces dessins laissant quelquefois un témoignage écrit, étonnés par la beauté et la valeur scientifique de ces planches. Malheureusement comme nous l'avons vu, le temps, la dispersion, le vandalisme et la convoitise ont eu raison d'au moins les deux tiers des manuscrits de Léonard.