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Communication à la Société Francophone d'Histoire de l'Ophtalmologie
le 8 mai 2004 à Paris France
Nous présentons aujourd'hui un manuscrit inédit de Jacques Daviel qui est intéressant parce que les manuscrits de Daviel sont rares et surtout parce qu'il apporte des éléments nouveaux sur son activité chirurgicale entre 1745 et 1752.
L'Histoire de ce manuscrit est la suivante: il fait partie du fond de livres et de manuscrits légué à l'Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence par le bibliophile et collectionneur Paul Arbaud en 1911. Il a très certainement été acheté par lui, en apparence sans savoir ce que c'était. Il était placé dans une chemise de fortune, la double page d'un catalogue de livres, sur laquelle est inscrit le mot "Marseille" à l'encre violette, avec au dessous inscrit au crayon "écriture inconnue d'un médecin oculiste parlant des opérations faites par lui selon la nouvelle méthode qu'il avait inventée à Marseille depuis 1745". Il ne peut s'agir que de Jacques Daviel.
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Le manuscrit est-il de sa main ? On peut l'affirmer en comparant son écriture avec celle d'un autre document, signé celui-là: une lettre que conserve à Paris la bibliothèque de l'Académie de Médecine écrite en 1754 (réf ARC 34 n°104).
Le manuscrit comporte 9 pages, et il semble avoir été écrit d'un seul jet avec application. Il y a un seul rajout, sans numéro, entre le 7ème et le 8ème malade. Pour chaque opération selon le terme de Daviel pour désigner les malades, est indiqué le nom, le lieu, la date plus ou moins précise, et le résultat de l'opération. Cependant pour le n°79, Daviel énumérant les personnalités qui ont assisté à son opération sur les deux yeux: Chicoyneau, La Martinière, etc., oublie de donner le résultat obtenu.
Signalons aussi que Daviel a fait un lapsus calami : après la 82ème opération qui termine l'année 1751, il écrit "janvier 1742". C'est à l'évidence 1752 qu'il faut lire.
Notons enfin que les noms propres de ce document concordent avec ceux donnés par Daviel par ailleurs.
Sur cette liste, il y a 85 patients opérés, et nous connaissons le résultat obtenu chez 84 d'entre eux: sur ces 84, 45 ont été opérés d'un seul oeil et 39 des deux yeux en apparence en une seule séance.
Au total 125 yeux ont été opérés dont nous n'avons que 123 résultats:
Soit au total, en considérant les yeux, 108 succès sur 123 (87,8%).
Les opérations s'étendent du 8 avril 1745 au début de l'année 1752, avec la répartition suivante:
1745: 6 malades 1747: 1 malade 1749: 7 malades 1750: 17 malades 1751: 52 malades 1752: 2 malades Il n'y a pas d'opéré en 1746 et 1748.
Notons l'indication de 5 opérations sur les yeux d'animaux, chiens, mouton, cheval: c'est un exemple très intéressant d'expérimentation chez l'animal.
La carrière de Daviel nous est connue par les nombreuses communications qu'il fit dans les journaux de l'époque: le courrier d'Avignon, le Mercure de France "Lettre de M.Daviel à M.de Joyeuse" en septembre 1748, "Réponse de M.Daviel à la lettre critique de M. Roussilles" le 1er juillet 1749, et surtout sa communication à l'Académie de Chirurgie le 13 avril 1752 "Sur une nouvelle méthode de guérir la Cataracte par l'extraction du Cristallin", répétée selon l'usage le 16 novembre 1752 (Mémoires de l'Académie de Chirurgie 1752 TomeII p 337 à 356). Ces textes sont numérisés à la BIUM.
C'est précisement en 1752 que se termine notre manuscrit: l'opération n°83 date de janvier 1752, et la dernière qui porte le n°84 n'est pas datée, mais est sans doute proche de la précédente.
Si on ne peut douter de l'authenticité du manuscrit, il faut se poser la question, quand et pourquoi Daviel l'a-t-il écrit ? On peut penser qu'avant de rédiger sa communication à l'Académie de Chirurgie, il a récapitulé d'un seul jet les opérations d'extractions du cristallin effectuées depuis la première pratiquée à l'Hôtel Dieu de Marseille sur l'ermite d'Eguilles (près d'Aix en Provence) le 8 avril 1745, jusqu'au début de l'année 1752.
Cela pose la question de la divergence entre le manuscrit et la communication à l'Académie de Chirurgie: devant l'Académie Daviel avance le chiffre de 206 opérations dont 182 ont réussi. Une discordance importante apparaît à propos de la Princesse Palatine. Elle avait appelé Daviel à Manheim pour l'opérer elle-même ainsi que plusieurs autres patients. Il était admis que Daviel avait pratiqué l'extraction du cristallin chez la Princesse Palatine. Mais elle ne figure pas sur notre manuscrit, où ne sont mentionnés que quatre extractions à Manheim chez des personnages de La Cour bien identifiés. Daviel dit lui-même dans sa communication "Dans le cours du voyage que j'ai fait à Manheim pour y traiter S.A.S. Madame la Princesse Palatine de Deuxponts d'une ancienne maladie qu'elle avait à l'oeil gauche...". Il a dû l'opérer d'autre chose que de la cataracte.
D'autres divergences existent:
Le personnage venu de Paris, opéré le 18 octobre 1745 qui aurait ainsi fait grand honneur à Daviel, ne figure pas dans le manuscrit. Daviel dit, dans sa lettre à M. de Joyeuse, page 4, qu'il était "le 7ème malade dont la guérison m'a fait tant honneur à Marseille". Dans le manuscrit, le 7ème malade est le perruquier Garion.
A propos du perruquier Garion justement, page 7 de la communication à l'Académie de Chirurgie, Daviel écrit "J'ai fait l'extraction de la cataracte située encore dans la chambre postérieure de l'oeil droit de M.Garion, maître perruquier...les observations que j'ai faites sur cette heureuse opération m'ont donné de grandes idées pour l'extraction de la cataracte". Mais dans le manuscrit, le perruquier Garion a le numéro 7, ayant été opéré le 6 avril 1747 "sur les deux yeux dont un n'a pas réussi".
Il y a d'autres divergences que l'on peut relever entre les écrits de Daviel déjà connus et la liste du nouveau manuscrit. On y apprend ainsi qu'il a opéré à Douai, à Cambrai, à Péronne, ce dont il ne parle pas par ailleurs.
J'ai communiqué ce manuscrit jusqu'à présent seulement au Professeur Pouliquen, auteur du très remarquable livre "Un oculiste au siècle des lumières, Jacques Daviel" qui m'a fait l'honneur de me faire part de quelques réflexions à ce sujet, me rappelant que Roussilles avait reproché à Daviel sa négligence dans la dénomination des cas traités et la liste de ses malades.
Le but de ma communication de ce jour est de faire connaître ce manuscrit en le rendant public et accessible à tous ceux qui voudront l'étudier.
Si on a pu noter des divergences intéressantes à considérer et à analyser entre ce nouveau document et les autres écrits de Daviel, elles n'enlèvent rien à la gloire de celui qui fut un très grand hommme.