Le site des ophtalmologistes de France
Amedeo Modigliani
Les anciens Chinois mettaient de petits sacs de sable sur leurs paupières, la nuit, pour diminuer leur myopie et pour mieux voir durant la journée. C'est une notion classique qui est sans doute une des premières tentatives de remodelage cornéen.
On appelle orthokératologie la technique qui consiste à porter des lentilles flexibles la nuit pour aplatir la cornée et ainsi diminuer ou annuler la myopie durant la journée. Cette technique prônée par les optométristes anglo-saxons depuis les années 60, mérite qu'on l'étudie.
On différencie l'orthokératologie (ou ortho-k ou gentle molding) qui utilise des lentilles de différents fabricants, de la CRT (corneal refractive therapy) qui est réalisée par une seule catégorie de lentilles (Paragon) approuvée par la FDA (Food and Drug Administration) américaine pour le port nocturne et le remodelage cornéen. La FDA a accepté le port nocturne pour des myopies jusqu'à -6 dioptries et des astigmatismes jusqu'à 1,75 dioptries. Ces valeurs sont considérées comme un peu excessives par les professionnels.
Le port de certaines lentilles flexibles perméables à l'oxygène permet un aplatissement transitoire de la cornée (de 0,12 à 0,19 microns) qui est modifiée dans ses couches les plus superficielles. Cela est tout à fait visible sur les cornéo-topographes qui sont indispensables pour une telle adaptation de lentilles.
On utilise des lentilles à géométrie inversée de type tétracourbe qu'il faut porter au moins 6 à 8 heures chaque nuit pour avoir un effet réfractif. On obtient une diminution ou bien une disparition de la myopie pendant environ 24 à 48 heures, mais cela ne s'adresse qu'aux petites myopies inférieures ou égales à 4 dioptries, avec un astigmatisme direct ne dépassant pas 1,5 dioptries ou un astigmatisme inverse maximum de 0,75 dioptrie.
Il est conseillé d'utiliser du hyaluronate de sodium pour la pose des lentilles.
Il faut souvent de nombreux essais pour obtenir une action satisfaisante. L'arrêt du port nocture entraîne une réapparition de la myopie, la cornée reprenant sa forme initiale. On décrit parfois le développement d'un anneau cornéen pigmenté périphérique.
Le développement de la chirurgie réfractive, laser excimer et lasik, ainsi que les lentilles à port permanent (silico-hydrogel, Night and Day, et PureVision) ainsi que les lentilles rigides à fort Dk sont les concurrents de cette technique qui met en avant son côté réversible.
Il faut éviter d'équiper les enfants car le risque d'infection n'est pas nul, ainsi que les porteurs d'anomalies cornéennes (oeil sec, dystrophie cornéenne, kératocône, grande pupille...). Seul un médecin ophtalmologiste est capable de faire un diagnostic médical et de voir s'il n'y a pas de contre-indication.
On peut penser que la technique s'adresse aux adultes faiblement myopes et astigmates, ne désirant pas se faire opérer, ne supportant pas les lentilles diurnes, ni les lunettes, ni les lentilles à port continu.
Tout équipement en dehors du cadre médical entraîne bien sûr des risques médico-légaux certains et des conséquences sévères, avec la notion de perte de chance pour le patient.
Il faut savoir que l'orthokératologie coûte de $1000 à $1500 aux USA, n'est pas remboursée, et n'est pas dénuée de risques. Nous pouvons en effet évoquer les dramatiques ulcères de cornée à Pseudomonas rapportés par les équipes Chinoises (voir la bibliographie).
La technique est assez astreignante (mettre des lentilles flexibles tous les soirs, faire des contrôles souvent), et le moindre arrêt voit revenir la myopie initiale.
L'ortho-k a du mal à se développer en France car les ophtalmologistes ont plutôt tendance à faire confiance aux nouvelles lentilles ou à la chirurgie réfractive qui devrait être remboursée selon le Ministre de la Santé.
Que sera l'avenir de l'orthokératologie ? Il semble qu'elle ait toujours une place de choix dans le monde optométrique anglo-saxon (non médecins) qui n'a pas accès à la chirurgie réfractive, mais ses indications sont limitées et ses bénéfices temporaires.
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