Le site des ophtalmologistes de France
Que faut-il entendre par bonne vue ?
On a souvent tendance à croire qu'il n'y a qu'un élément qui compte dans la vision et que c'est l'acuité visuelle. Or cette notion est fausse comme nous allons le présenter.
La vision humaine représente un phénomène très complexe fait d'un ensemble de réflexes et d'habitudes. On peut ainsi décrire le réflexe ancestral de poursuite de tout objet qui rentre dans le champ de vision et qui s'y déplace. Dès que l'oeil perçoit dans son champ de vision latéral un mouvement, il faut que le cerveau sache s'il peut représenter une menace. Des zones cérébrales particulières sont dévolues à ce type de réflexe qui doit exister depuis très longtemps, pour pouvoir faire face à un environnement hostile. Dès que l'objet en mouvement est perçu, il y a un déplacement immédiat de la tête vers l'objet, pour pouvoir prendre en charge la menace avec une partie de la rétine spécialisée en vision fine (les cônes de la macula). La rétine transmet aux centres nerveux une bonne image qui sera interprétée par le cerveau qui décidera la conduite à tenir, négliger l'objet, le fuir ou l'affronter si nécessaire.
Ansi le sujet a détecté la cible grâce au champ de vision, l'a identifié grâce à sa vision des contrastes, à la vision des couleurs et à la reconnaissance des formes (sens morphoscopique) et l'a situé dans l'espace grâce au sens spatial (équilibre oculo-moteur, vision binoculaire et vision stéréoscopique).
Il faut noter qu'à la tombée de la nuit les choses changent nettement car ce sont les bâtonnets de la rétine qui vont fonctionner, alors que les cônes rétiniens utilisés dans la pleine lumière ne seront pas fonctionnels.
L'acuité visuelle est un élément prépondérant dans la bonne vision mais il n'est pas le seul. Nous avons défini dans le chapitre "acuité visuelle" les différents aspects et les définitions de l'acuité visuelle. Elle se chiffre en dixième en France. L'acuité moyenne est de 10/10ème au sein de la population, mais ce n'est pas un maximum, loin de là. Les enfants dépassent souvent 10/10ème et peuvent atteindre 15/10ème ou plus. Il ne faut pas confondre ces chiffres d'acuité visuelles avec ceux qui caractérisent la puissances des verres de lunettes ou les lentilles, qui sont données en dioptries. Ainsi un myope de - 3 dioptries aura, sans lunette, une vision inférieure à 1/10ème, mais il aura, avec ses lunettes une vision de 10/10ème. Les ophtalmologistes appliquent toujours l'aphorisme de leurs maîtres "10/10ème ou un diagnostic", expliquant ainsi que toute personne qui n'a pas 10/10ème avec correction doit bénéficier d'un bilan à la recherche de la cause (étiologie) de sa mauvaise vision.
Les nouvelles techniques de chirurgie réfractive nous promettent une vision de 20/10ème quand on aura amélioré encore les lasers et les technologies. Nous pourrons peut-être atteindre alors la super vision qui fait rêver le public. Ces procédés vont permettre de diminuer ou même de faire disparaître ce dont se plaignent certains opérés de myopie, les halos nocturnes, l'éblouissement lors de la conduite de nuit ou les images fantômes. Les aberrations optiques de hauts degrés sont souvent responsables de ces phénomènes.
Généralement, on ne se rend pas compte de la baisse de l'acuité visuelle progressive. Les ophtalmologistes sont toujours étonnés par les grands pères de 95 ans (ou +) qui conduisent leur voiture et qui disent "J'y vois très bien", même quand leur acuité est proche de 1/10ème, et parfois inférieure. Les médecins ne peuvent légalement rien faire pour limiter la conduite des personnes aussi dangereuses. Seule la famille peut écrire à la préfecture qui convoquera l'ancêtre pour un examen d'aptitude. En principe il ne doit pas savoir qui est responsable de son examen, pour éviter des situtations familiales conflictuelles... Différents pays en Europe imposent un examen clinique après un certain âge, mais pas la France (lobbies, élections...).
Cette adaptation à la mauvaise vue est parfois bénéfique car elle permet à des malvoyants de se diriger quasiment normalement chez eux ou dans la ville. Certains patients à la vision non mesurable tellement elle est faible, arrivent à mener un vie très normale car ils se sont habitués à une baisse progressive de la vue sur plusieurs années. Certaines pathologies n'ont pas de traitement et on ne peut qu'assister à une dégradation progressive de la vue, avec parfois une stabilisation autour de 1/50ème. Cette mauvaise vue leur suffit quand ils nous disent "Pourvu que je garde ce que j'ai de vision".
Ainsi l'acuité visuelle n'est pas tout, ce qu'on perçoit mieux quand on écoute les patients qui ont une bonne acuité visuelle mais d'autres troubles que nous alllons évoquer.
Le champ de vision est un élément prépondérant dans l'appréhension de notre environnement. Ansi nous nous rappelons de ces anciens patients opérés de cataracte sans mise en place d'implant intra-oculaires (il y a plusieurs dizaines d'années). Il fallait leur donner des lunettes très fortes après l'opération de cataracte, par exemple +13 dioptries. Ce sont des verres très épais qui entraînent des déformations très importantes des images sur les côtés. Le patient pouvait avoir 10/10ème avec ses lunettes mais il se plaignait toujours de la vision déformée sur les côtés, ce qui nécessitait de tourner constamment la tête pour voir à droite ou à gauche. Cette dégradation de la vision latérale était finalement acceptée mais au prix d'un inconfort important. A l'époque nous n'avions pas le choix, car les cristallins artificiels (implants intra-oculaires) n'existaient pas ou bien n'étaient pas utilisés car sources de complications (à l'époque). Cette situation a bien changé puisqu'on met des implants cristalliniens à tous les opérés de cataracte.
Ce qu'on voit avec une aphaquie (absence de cristallin)
corrigée par des lunettes
Certaines pathologies dégradent le champ visuel de façon plus importante encore. Ainsi les rétinopathies pigmentaires entraînent un champ visuel en "canon de fusil" car les patients ne voient que devant eux, sur quelques degrés. Comme s'ils regardaient dans le canon d'un fusil. Ces maladies ne peuvent pas être soignées pour l'instant, mais peut-être un jour grâce à la thérapie génique. Les patients ont beaucoup de mal à se déplacer dans une ville car ils cognent tout ce qui est par terre, ne voients pas les trottoirs, les poubelles... Quand on leur tend la main ils ne la voient pas, et il faut la mettre au niveau de leurs yeux pour qu'ils se rendent compte du geste. Ces altérations du champ visuel sont très handicapantes. Ils peuvent avoir 10/10ème à chaque oeil et pourtant ils sont très gênés dans la vie courante.
D'autres altérations du champ visuel sont décrites dans les glaucomes décelés tardivement, avec séquelles. Il s'agit là de patients qui ne sont rendus compte de rien et qui ont développé un glaucome indolore, insidueux, qui a dégradé leur nerf optique et leur champ visuel. Ils nous racontent, "quand je regarde le visage de mon interlocuteur, je ne vois pas le bas de son corps" ou bien "je conduisais et j'ai vu surgir devant moi, brutalement, un obstacle que je n'ai pas vu venir". Ils peuvent aussi avoir 10/10ème dans leur vision centrale, et un important "trou noir" appelé scotome, uni ou bilatéral. D'où l'importance de faire un examen ophtalmologique tous les deux ans après 45 ans, à l'occasion d'un changement de lunettes par exemple. D'où la dangerosité de l'achat de lunettes sans examen médical.
Cette pathologie du sujet âgé touche de plus en plus de patients en France (1 à 2 millions) et se caractérise par une diminution de la vision centrale, avec un scotome central. Le patient voit une tâche noire sur tous les objets qu'il fixe. Ainsi il ne peut plus voir la télévision, le journal, l'ordinateur... Son champ visuel périphérique est toujours conservé, ce qui fait qu'il ne sera jamais aveugle et peut toujours se déplacer chez lui ou à l'extérieur, avec précautions tout de même. On peut parfois lui proposer une rééducation qui n'améliorera pas son champ visuel ni sa vision, mais qui lui apprendra à mieux utiliser la rétine périphérique qui fonctionne. C'est tout à fait anti-naturel de regarder à côté d'un objet pour l'apercevoir, et c'est pour cela qu'il faut une rééducation basse vision pour l'y habituer. Ce sont les orthoptistes qui réalisent ce type de rééducation. Dans certaines formes de dmla, on peut utiliser la photothérapie dynamique, qui stablise ou améliore parfois la vision.
Toute la vie est contraste. On ne s'en rend pas bien compte, sauf quand on a perdu cette capacité.
Un monde sans contraste est difficile à supporter car on a du mal à voir les caractères d'imprimerie noirs sur la page blanche, les lignes blanches sur la route noire, les personnages de la télévision car il se fondent dans l'arrière plan. Différentes pathologies donne une diminution du contraste, comme les glaucomes par exemple. On utilise d'ailleurs parfois des appareils à doublage de fréquence pour mettre en évidence des glaucomes débutants (technologie FDT).
La chirurgie réfractive donne parfois aussi une diminution de la vision des contrastes, et certains patients le décrivent spontanément sans qu'on leur ait posé la question. Les militaires sont très attentifs à cet aspect de la vision qui peut rendre inaptes des personnels qui ont pourtant 10/10ème.
La vie en noir et blanc paraît bien triste mais l'achromatopsie (absence de la vision des couleurs) est tout de même une anomalie très rare. En revanche 8% des garçons ont un trouble congénital de la vision des couleurs (dyschromatopsie). La couleur est un élément important de description d'une scène et le cerveau joue un rôle important dans son utilisation. Ce sont les cellules cônes de la rétine qui sont à l'origine de la vision des couleurs, puisqu'on décrit des cônes sensibles au rouge, d'autres au vert, et d'autres au bleu. Le soir en basse lumière (ambiance scotopique) ce sont les bâtonnets qui fonctionnent, ce qui explique qu'il est très difficile de différencier les couleurs à ce moment-là.
Voir en relief permet d'évaluer les distances, de ne pas renverser le verre sur la table et donc de mieux coordonner l'oeil et la main. L'absence de vision stéréoscopique (monophtalmie, un seul oeil) entraîne une image plate et le cerveau doit faire des efforts pour imaginer le relief qui manque. On peut saisir toute la différence quand on assiste à la projection de films "en relief" visibles avec des lunettes polarisées ou des lunettes rouge/vert qui vont séparer les images destinées à l'oeil droit de celles destinées à l'oeil gauche.
La vision est un phénomène dynamique, constamment en mouvement et en changement qui se modifie également suivant la distance de visée. Une vision rapprochée va mettre en jeu un phénomène d'accommodation (facile jusqu'à 45 ans), alors qu'une vision de loin n'aura pas besoin de cette accommodation. De plus la vision est fonction de l'état général du patient, de ses pathologies intercurrentes, de sa concentration, et de nombreux facteurs qui varient au cours même de la journée.
Quand on mesure l'acuité visuelle, que l'on réalise un champ visuel, un examen de la vision des contrastes, ou même une mesure d'aberrométrie (voir super vision), on n'obtient qu'une évaluation instantanée d'une fonction. Il est tout à fait possible que l'on obtienne des résultats un peu différents si les examens sont réalisés de nouveau plus tard.
Avoir une bonne vue correspond donc à un ensemble de fonctions visuelles indispensables. Hélas on ne se rend compte de leur importance que si on perd l'une d'elle ou si elle est altérée. Ces fonctions sont très différentes suivant les espèces animales; ainsi un oiseau de proie aura une acuité visuelle très développée alors qu'un oiseau nichant dans les champs aura plutôt un champ visuel très étendu, pouvant parfois atteindre les 360 degrés.
Garder une bonne vue consiste à ne pas regarder le soleil en face (attention aux éclipses) et à éviter certains toxiques (le tabac favorise les DMLA). La vue n'est pas quelque chose qui s'use, et ne pas regarder la télévision ou ne pas lire ne sert à rien. Au contraire, il faut garder ces habitudes et continuer ses activités. Avec l'âge la vision diminue normalement et avoir 1/10ème à 90 ans est tout à fait normal et physiologique.
Au total, avoir une bonne vue permet de se sentir bien dans le monde, ce que Racine a fait dire à Titus :
et crois toujours la voir pour la première fois. |